Des ruelles de Dakar aux boulevards de Conakry, les murs s’animent et racontent l’Afrique d’aujourd’hui. Longtemps perçu comme une provocation, le graffiti est devenu un miroir social, un outil d’éducation et d’émancipation. Et si ces fresques colorées étaient les nouveaux livres d’histoire du continent ?
Le Réveil du Street art Ouest-Africain
À Conakry, sous la lumière écrasante du midi, les éclats de couleurs naissent d’un mur gris. Une silhouette, bombe à la main, trace avec assurance les contours d’un visage monumental. L’artiste, c’est Omar Diaw, alias Chimère. Son geste est vif, précis, confiant. Autour de lui, les passants ralentissent. Certains filment, d’autres applaudissent.
Ici, peindre sur les murs n’est plus un crime — c’est devenu un langage visuel, une façon d’habiter la ville autrement.
Conakry : De la Méfiance à l’Acceptation
Quand Chimère arrive en Guinée en 2018, le graffiti est quasi inexistant. On l’associe à la dégradation urbaine, voire au désordre.
« On pensait que le graffiti, c’était salir la ville », se souvient-il.
Alors, il choisit une autre voie : peindre pour éduquer plutôt que pour provoquer. Son premier grand projet ? Une campagne murale sur les gestes barrières durant la pandémie de COVID-19. Une manière de montrer que l’art pouvait protéger autant qu’embellir.
« Il fallait séduire la population
Omar Diaw
Et le pari a réussi : aujourd’hui, les murs de Conakry vibrent de ses fresques. Samory Touré, Miriam Makeba, Sékou Touré ou encore des musiciens emblématiques ornent désormais les façades de la capitale. Son collectif, Guinea Ghetto Graff, signe des œuvres partout dans la ville.
Dans une cité en pleine urbanisation, la couleur devient résistance.

Dakar, Berceau du Graffiti Africain
Mais l’histoire du street art ouest-africain commence bien plus tôt — à Dakar, dans les années 1980.
Le pionnier, c’est Amadou Lamine Ngom, connu sous le nom de Docta.
À ses débuts, il peint la nuit, comme les graffeurs américains. Puis il change tout :
« J’ai voulu peindre en plein jour, pour ne pas copier l’Occident. Créer un graffiti fidèle à notre réalité, à nos valeurs », confie-t-il.
Son geste transforme la perception de l’art urbain : le peuple se reconnaît enfin dans ces fresques. Le graffiti devient une parole publique, un miroir de la société.
Mentor de Chimère, Docta fonde plus tard Doxandem Squad, un collectif itinérant, et Festigraff, le grand festival du graffiti africain.
Aujourd’hui, il est considéré comme le père du street art ouest-africain.
L’Art comme Engagement
À Dakar comme à Conakry, le graffiti a pris une tournure sociale et politique.
Docta et ses pairs peignent contre la corruption, pour la santé publique, pour les droits des jeunes. Chimère, lui, s’attaque aux thèmes de la migration, de la pauvreté, de la mémoire.
Ses fresques ne décorent pas : elles interpellent.
Le graffiti reflète notre réalité, nos valeurs »
Docta
Dans une Guinée marquée par les bouleversements politiques, Chimère bénéficie du soutien des autorités locales. Le gouverneur de Conakry lui a même donné « carte blanche » pour peindre. Sur un mur du centre-ville, son portrait du colonel Mamadi Doumbouya, figure du pouvoir actuel, attire les regards.
« Cela rappelle notre histoire, nos héros », confie Ousmane Sylla, un jeune chauffeur conakryka. « Le graffiti embellit la ville, il donne de la vie à nos rues. »
Femmes et Inclusion : une Révolution à Venir
Mais dans ce monde encore très masculin, les femmes restent rares.
Mama Aissata Camara, l’une des pionnières guinéennes, milite pour changer cette réalité :
On dit que le graffiti, c’est pour les hommes, mais c’est faux. Nous aussi, nous avons des choses à dire, à peindre, à revendiquer.
Mama Aissata Camara
À Dakar, les femmes représentent à peine 20 % des graffeuses actives, mais leur présence grandit.
Pour Chimère, leur arrivée est essentielle :
« Plus il y aura de femmes dans le graffiti, plus notre art sera riche et sincère. »
Des Murs comme Mémoire collective
Aujourd’hui, les façades de Conakry et de Dakar racontent une autre histoire : celle d’une jeunesse africaine qui refuse le silence.
À travers les visages peints de héros et de figures culturelles, le graffiti devient une écriture murale de l’identité africaine — un acte de mémoire, de résistance et de liberté.
« Quand je peins, je ne cherche pas à copier le monde, mais à le refléter tel que nous le vivons », confie Chimère, observant sa dernière fresque sécher sous le soleil.
Du Sénégal à la Guinée, du pionnier Docta à son disciple Chimère, le graffiti n’est plus un cri marginal :
c’est une affirmation collective, une fierté africaine qui s’affiche désormais en grand format sur les murs du continent.

