Washikala Malango a grandi dans le noir. Né dans un village sans électricité en République Démocratique du Congo, il se souvient des soirées passées à la lueur chancelante d’une lampe à pétrole, juste assez pour que sa mère cuisine, mais pas assez pour lire ou étudier. Une nuit, une bougie oubliée a mis le feu à son matelas. Il s’est réveillé en suffoquant. Plus tard, adolescent réfugié en Tanzanie, il a retrouvé la même obscurité, la même dépendance à des sources d’énergie « sales et chères ». Cette expérience fondatrice est à l’origine d’Altech, la startup qu’il a co-fondée en 2013 et qui a déjà apporté l’électricité à 2,5 millions de Congolais. Son histoire n’est pas une simple anecdote. Elle est l’incarnation d’une révolution silencieuse qui est en train de redessiner la carte énergétique de l’Afrique.
Le Paradoxe Solaire : Potentiel Infini, Financement Infime
Le continent africain est une superpuissance solaire en sommeil. Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), son potentiel est « presque illimité ». Il bénéficie de plus d’heures d’ensoleillement que n’importe quel autre continent. Pourtant, la réalité est inverse : l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) estime que 85% des 660 millions de personnes privées d’électricité dans le monde vivent en Afrique subsaharienne. Comment expliquer ce paradoxe ? Le continent est victime d’un sous-investissement chronique. Entre 2000 et 2020, l’Afrique n’a attiré que 2% des investissements mondiaux dans les énergies renouvelables, selon l’IRENA. L’AIE estime qu’il faudrait 25 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour atteindre l’accès universel à l’électricité, un chiffre loin d’être atteint.
Le Mirage des Méga-Projets : Quand la Géopolitique Freine le Développement
Pendant des années, la réponse à cette crise a été pensée à une échelle pharaonique. L’initiative « Desert-to-Power » de la BAD, lancée en 2018, en est l’exemple le plus ambitieux : un plan visant à installer 10 gigawatts de capacité solaire dans 11 pays du Sahel. Cependant, plus de la moitié de ces pays sont aujourd’hui touchés par des conflits et une instabilité politique extrême, incluant cinq coups d’État en trois ans. Le projet, bien que visionnaire, est largement paralysé par la géopolitique, illustrant la difficulté de déployer des infrastructures centralisées massives dans des environnements fragiles.
Nous voulions vraiment contribuer à l’éradication de la pauvreté énergétique en RDC, au vu de ce que nous avons vécu en grandissant.
Washikala Malango, co-fondateur, Altech
La Révolution « Off-Grid » : Quand la Solution Vient d’en Bas
Face à la lenteur des grands projets et à l’incapacité des réseaux nationaux à s’étendre en zones rurales, une alternative a explosé : l’énergie décentralisée, ou « off-grid ». Des startups comme Altech en RDC, M-Kopa au Kenya, Izili en Afrique de l’Ouest ou Nuru (qui a levé 40 millions de dollars pour construire le plus grand mini-réseau d’Afrique) proposent des kits solaires domestiques et des mini-réseaux. Leur succès repose sur deux piliers : la chute drastique du coût des panneaux solaires et, surtout, un modèle économique révolutionnaire, le « Pay-As-You-Go » (PAYG). Plutôt que d’exiger un paiement initial de plusieurs centaines de dollars, inaccessible pour la majorité des ménages, ces entreprises permettent de payer le kit via le « mobile money » en versements quotidiens ou hebdomadaires de quelques dizaines de centimes, un coût souvent inférieur à ce que les familles dépensaient en kérosène ou en bougies.
Plus que la Lumière : Un Levier de Développement Intégré
L’impact de cette révolution dépasse largement la simple illumination. L’accès à une électricité fiable, même modeste, est un catalyseur de développement. Il permet aux enfants d’étudier le soir, améliorant leurs résultats scolaires. Il élimine l’exposition aux fumées toxiques du kérosène, une cause majeure de maladies respiratoires. Il permet de recharger un téléphone, un outil devenu indispensable pour l’inclusion financière et l’accès à l’information. Enfin, il brise ce que l’analyste de l’AIE, Bruno Idini, appelle le « cercle vicieux » : « vous n’avez pas d’électricité parce que vous ne pouvez pas la payer, mais vous ne pouvez pas la payer parce que vous n’avez pas d’électricité » pour développer une activité économique. En fournissant l’étincelle initiale, le solaire « off-grid » permet à des millions de personnes de prendre en main leur propre développement. C’est peut-être là que réside la véritable puissance du soleil africain.
