“C’est pour hier !” Voilà le genre de phrase qui résonne comme une rengaine dans les open spaces et les boîtes mail saturées. Bienvenue dans le règne du TTU – le “Très Très Urgent”. Ce syndrome managérial, aussi contagieux que pernicieux, transforme chaque tâche en priorité absolue, chaque deadline en feu à éteindre. Et s’il fallait enfin poser un diagnostic sur ce mal qui ronge le monde du travail ?

Une Urgence Qui n’en Est pas Une
Dans une entreprise atteinte du TTU, tout semble vital, immédiat, non négociable. Un dossier à envoyer, une réponse client, une modification à valider : aucune hiérarchisation réelle, car tout est mis au sommet de la pile. Résultat : les équipes travaillent dans le stress, enchaînent les sprints comme si c’était un marathon, et perdent de vue l’essentiel.
Mais derrière l’apparence d’efficacité, c’est souvent le chaos qui règne. L’urgence permanente crée une désorganisation latente, où la qualité cède le pas à la rapidité, où les tâches s’empilent sans recul, où l’anticipation est sacrifiée sur l’autel de l’instantanéité.
Une Maladie Qui part du Haut
Le TTU est rarement une coïncidence. Il naît souvent d’une culture d’entreprise ou d’un management court-termiste, obsédé par les résultats immédiats ou les réponses rapides. Certains cadres valorisent la “réactivité” au point de confondre vitesse et précipitation. D’autres redoutent les silences ou les temps morts, et imposent un rythme effréné “au cas où”.
Dans certaines organisations, l’urgence devient même une forme de pouvoir : celui qui interrompt, qui demande tout de suite, qui bouscule les priorités impose son autorité sur les autres. Et ce climat, toxique à long terme, finit par contaminer toute l’équipe.
Des Effets Délétères
Les conséquences sont loin d’être anecdotiques. À force de vivre en mode alerte permanente, les employés s’épuisent, perdent en lucidité, et deviennent moins efficaces. Le stress chronique altère la concentration, empêche la planification et favorise les erreurs. Les vraies urgences, les rares, sont alors noyées dans une mer d’alertes inutiles.
Le TTU détruit aussi la confiance. Quand tout devient urgent, les collaborateurs ne savent plus à quoi se fier. Ils finissent par ne plus croire aux priorités, à se désengager, voire à entrer en résistance passive : délais étirés, mails ignorés, réunions esquivées. Le fameux “TTU” devient alors une blague interne, un clin d’œil amer entre collègues fatigués.
Une Culture à Soigner
Heureusement, le TTU n’est pas une fatalité. Il est même possible de s’en désintoxiquer. Mais cela demande un changement culturel profond. Il faut oser poser les vraies questions : Qu’est-ce qui est réellement urgent ? Quelles tâches méritent notre énergie immédiate ? Qui décide du tempo ?
La réponse passe par :
- Une meilleure planification : anticiper plutôt que réagir.
- Une communication plus claire : distinguer l’important de l’urgent.
- Une culture de la confiance : déléguer sans tout contrôler.
- Des temps de pause assumés : car la récupération est une force, pas une faiblesse.
Les entreprises qui guérissent du TTU sont celles qui acceptent de ralentir pour mieux avancer, de hiérarchiser sans paniquer, de laisser le temps au temps. Ce n’est pas une question de confort, c’est une condition de survie collective.
Dans un monde du travail de plus en plus rapide et numérique, il est tentant de céder à l’urgence. Mais faire du “très très urgent” la norme, c’est mettre en danger la qualité, la motivation et la santé. Face à la maladie du TTU, un remède simple mais courageux : réapprendre à respirer, à prioriser, à dire non. Parce que tout n’est pas urgent. Et c’est tant mieux.

