L’ambiance est lourde, ce 13 mai 2025, dans la salle d’audition de la Commission des Affaires Étrangères du Sénat américain. Le ton, habituellement feutré, est empreint d’une frustration et d’une colère bipartisanes rares. L’objet de la séance : la politique américaine en Afrique de l’Est et dans la Corne de l’Afrique. Mais très vite, l’audition se transforme en une autopsie de l’influence américaine sur le continent. Entre des coupes budgétaires « catastrophiques » de l’administration Trump [01:28:31], des alliés historiques qui s’affichent ouvertement avec Pékin [24:43], et l’avancée méthodique de la Chine, de la Russie et de l’Iran [01:29:21], le constat dressé par les sénateurs et les experts est celui d’une « retraite » stratégique aux conséquences désastreuses.
Le Soudan : « La Pire Crise Humanitaire au Monde »
L’urgence absolue, c’est le Soudan. L’ambassadrice Michelle Gavin, du Council on Foreign Relations, assène un diagnostic sans appel : c’est « la pire crise humanitaire au monde », une guerre « étonnamment destructrice » [19:35] qui se dirige vers une famine « d’une ampleur que le monde n’a pas vue depuis des décennies » [19:59]. Le conflit est aggravé par l’ingérence étrangère, notamment les Émirats Arabes Unis qui arment les forces rebelles (RSF) [15:26], et la Russie qui « prospère dans les environnements de chaos » [01:32:12]. Face à cela, les sénateurs dénoncent l’échec de Washington à nommer un simple envoyé spécial [01:31:47] pour gérer cette crise qui déstabilise tout le Sahel.
L’Abandon de PEPFAR et le « Sabordage » des Outils d’Influence
La critique la plus virulente vient peut-être du camp démocrate. La sénatrice Jeanne Shaheen, preuves visuelles à l’appui, dénonce les conséquences directes des coupes budgétaires de l’administration Trump. Elle projette des photos de cliniques de prévention du VIH/SIDA fermées en Afrique du Sud et en Angola [06:52], conséquences directes de l’arrêt du financement de l’aide étrangère. « Ces programmes sont partis, ils ont juste été éliminés » [01:37:03], déplore-t-elle. Le sénateur Chris Coons qualifie la situation de « sabordage » [45:49] des outils les plus efficaces de l’Amérique, citant la fermeture du programme PEPFAR (le plan d’urgence contre le SIDA qui a sauvé 26 millions de vies [01:04:15]), du Millennium Challenge Corporation (MCC) [47:16] et du Young African Leaders Initiative (YALI) [46:33]. « C’est incroyablement autodestructeur », conclut l’ambassadrice Gavin [48:19]. « Je ne comprends pas pourquoi nous jetons nos outils dans une benne à ordures. » [48:27].
CITATION
Nous n’avons même pas réussi à obtenir le crédit pour [PEPFAR]. Nous avons fait le bien, mais nous n’en avons retiré aucun crédit. — Sénateur Président [01:38:00]
La Compétition Chinoise : « Ils Sont en Train de Gagner »
Cette « retraite affirmative » [01:00:52] américaine laisse un vide béant, que la Chine et la Russie s’empressent de combler. La sénatrice Shaheen brandit une carte montrant l’influence militaire chinoise, de sa base à Djibouti [09:01] à ses 2000 soldats déployés sur le continent [09:11]. « Ils sont en train de gagner la partie là-bas », assène-t-elle [08:48]. Mais la critique la plus vive vient du sénateur républicain Président de la commission, abasourdi par la récente déclaration du président kényan William Ruto à Pékin, où il a qualifié le Kenya et la Chine de « co-architectes d’un nouvel ordre mondial » [24:43]. « C’est stupéfiant », s’indigne-t-il [24:52], y voyant une « allégeance » [04:21] à un modèle autocratique.
Une Stratégie à Réinventer : Moins d’Individus, Plus d’Institutions
Face à cet échec, les experts appellent à une refonte totale de la stratégie américaine. L’erreur fondamentale, selon plusieurs intervenants, a été de « construire la politique américaine en Afrique autour de leaders individuels » [05:00] plutôt que de se concentrer sur le renforcement des institutions et l’engagement commercial [01:00:02]. Joshua Meservey, du Hudson Institute, insiste : « Nous devons commencer à donner aux pays africains plus de ce qu’ils veulent et moins de ce qu’ils ne veulent pas » [01:51:08]. La crise existentielle du continent est le chômage des jeunes [01:51:17]. L’aide au développement ne résoudra pas ce problème. La solution, selon lui, réside dans l’engagement commercial, le soutien au secteur privé et une évaluation « lucide » des partenaires avec lesquels Washington peut réellement travailler [01:16:35]. L’ambassadrice Gavin abonde, appelant à cesser de « traiter l’Afrique comme un projet de rattrapage en politique étrangère » et de l’intégrer « au cœur du programme » [01:57:02]. L’audition se termine sans résolution, mais avec le constat unanime d’une urgence absolue à repenser une influence américaine en chute libre.

