1 milliard. C’est le nombre d’enfants et de jeunes qui vivront sur le continent africain d’ici 2055. Ce chiffre, issu du rapport de référence de l’UNICEF, « Generation 2030 Africa 2.0 », n’est pas qu’une simple projection ; il est le descripteur d’une transformation planétaire dont l’Afrique est l’épicentre. Jamais un continent n’a connu une telle vague de jeunesse. Cette force vive est unanimement présentée comme le « dividende démographique » potentiel qui pourrait propulser l’Afrique au centre de l’économie mondiale. Pourtant, une analyse croisée des récents rapports du Fonds Monétaire International (FMI) et d’une étude de référence de la Banque Africaine de Développement (BAD) révèle une réalité plus précaire. Ce dividende n’est pas un droit acquis, mais une opportunité fragile, menacée par une fracture profonde entre la croissance de la population et la capacité des économies à l’absorber.
Une Vague Démographique Sans Précédent
Le rapport de l’UNICEF pose le cadre de manière saisissante. Alors que les populations vieillissent et déclinent dans la plupart des autres régions, l’Afrique verra sa population des moins de 18 ans augmenter de près de 70% pour atteindre ce fameux milliard. Le continent sera responsable de 42% des naissances mondiales en 2050. Cette transition crée une « fenêtre d’opportunité » démographique unique : une période durant laquelle la part de la population active dépasse largement celle des personnes dépendantes (enfants et aînés), libérant potentiellement des ressources pour l’investissement et la croissance.

Cependant, l’UNICEF prévient que ce dividende est conditionné à des investissements massifs et immédiats dans le capital humain : la santé, la nutrition et surtout l’éducation de cette future main-d’œuvre.
La Fracture Économique : Croissance Sans Emplois Décents
C’est ici que le bât blesse. Le rapport du FMI d’avril 2024, « Regional Economic Outlook for Sub-Saharan Africa », confirme une croissance résiliente, mais souligne sa faible capacité à générer des emplois formels en nombre suffisant. Le document de référence sur le sujet, une étude de John Page pour la Banque Africaine de Développement intitulée « Youth, jobs, and structural change in Africa », dissèque ce paradoxe. L’Afrique fait face à une « croissance sans transformation structurelle ». La plupart des économies restent dépendantes des matières premières et des services à faible valeur ajoutée, tandis que le secteur manufacturier, grand pourvoyeur d’emplois dans les trajectoires de développement asiatiques, reste embryonnaire. Le résultat est un gouffre entre l’offre et la demande de travail. Le FMI estime qu’environ 15 millions de jeunes entrent sur le marché du travail chaque année, alors que seulement 3 à 4 millions d’emplois formels sont créés. La conséquence directe, comme l’illustre l’étude de John Page, est la prédominance écrasante du secteur informel, qui absorbe la quasi-totalité de la main-d’œuvre jeune dans des conditions de précarité.
Les Leviers d’Action pour une Transformation Structurelle
Face à ce diagnostic, les différents rapports convergent vers un triptyque de réformes stratégiques, interdépendantes et urgentes.
- 1. La Révolution des Compétences : Le point de départ, martelé par l’UNICEF, est la refonte des systèmes éducatifs. Il est impératif de passer d’un modèle qui forme des fonctionnaires à un système qui produit des techniciens, des ingénieurs, des agriculteurs modernes et des entrepreneurs du numérique. L’accent doit être mis sur la qualité de l’enseignement, les filières professionnelles et les compétences STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques).
- 2. La Catalyse du Secteur Privé : Le FMI insiste sur la nécessité de créer un environnement où le secteur privé peut prospérer et investir. Cela implique des réformes pour améliorer le climat des affaires, faciliter l’accès au financement pour les PME et développer les infrastructures (énergie, logistique, numérique) qui réduisent les coûts de production et augmentent la compétitivité.
- 3. Le Ciblage Stratégique des Secteurs :L’analyse de la Banque Africaine de Développement recommande de ne pas attendre une industrialisation classique, mais de se concentrer sur les « industries sans cheminées » et les secteurs à fort potentiel d’emploi pour les jeunes. L’agro-industrie moderne, qui transforme localement les productions agricoles, et l’économie numérique (services, fintech, industries créatives) sont identifiées comme des priorités. Le dynamisme de l’écosystème tech, qui, selon Partech Africa, a attiré plusieurs milliards de dollars de capital-risque ces dernières années malgré un ralentissement conjoncturel, prouve que ce potentiel est bien réel

