À l’aube, dans un petit dispensaire au nord du Mali, une file de femmes attend devant une porte en bois disloquée. Certaines sont enceintes de leur premier enfant, d’autres en attendent un quatrième ou cinquième. Leurs visages portent la même inquiétude : survivront-elles à cet accouchement ?
L’intérieur est exigu, la lumière vacille au rythme des coupures d’électricité, et une seule sage-femme s’affaire sans relâche. « Chaque naissance ici est un miracle », murmure-t-elle. Mais ce miracle reste fragile : au Sahel, mettre un enfant au monde est moins un moment de joie qu’une épreuve de survie.
Le Paradoxe des Chiffres
Depuis 2000, la mortalité maternelle mondiale a chuté de 40 %, grâce aux progrès médicaux, à la formation de sages-femmes et à l’accès accru aux soins. Mais dans le Sahel, cette tendance s’enraye. Le Niger enregistre 350 décès pour 100 000 naissances, le Mali 367 et la Mauritanie 381. Ces chiffres, déjà alarmants, contrastent violemment avec les pays développés où ce taux tombe en dessous de 10.
Chez les enfants, le tableau est tout aussi sombre : au Niger, 114 enfants sur 1 000 meurent avant l’âge de cinq ans, contre 91 au Mali. Ces statistiques trahissent une double peine : naître et donner la vie sont deux des plus grands risques de la région.
ONG en Danger : Quand la Politique Complique la Survie
L’action humanitaire au Sahel est un parcours d’obstacles. Les équipes médicales affrontent des routes minées par les groupes armés et des gouvernements méfiants.
Au Burkina Faso, les autorités militaires ont révoqué 21 ONG en un mois et suspendu dix autres. La coordinatrice résidente de l’ONU, Carol Flore-Smereczniak, a été déclarée persona non grata.
Ces expulsions fragilisent les programmes de vaccination, de contraception et d’assistance aux accouchements. En parallèle, les jihadistes ciblent cliniques et convois médicaux. L’insécurité transforme chaque mission en pari mortel.
Quand les États abandonnent les Femmes
Derrière les statistiques se cache une réalité structurelle : un système de santé exsangue. Au Mali, on compte un seul médecin pour 10 000 habitants. Au Niger, seules 17 % des femmes ont accès à une méthode contraceptive moderne.
« Les États n’ont pas encore décidé que les femmes et les jeunes étaient leur priorité essentielle », déplore Diene Keita, directrice exécutive du FNUAP.
Cette absence de priorité se traduit par des cliniques sans matériel, des accouchements sans assistance médicale, et des milliers de vies perdues chaque année.
| Indicateur | Valeur Actuelle | Impact | Source |
| Mortalité maternelle Niger | 350/100 000 | Haut risque | WHO |
| Mortalité infantile Mali | 91/1 000 | Stagnation | TV5 Monde |
| ONG révoquées Burkina | 21 en 1 mois | Accès soins menacé | Africa Radio |
| Contraception Niger (%) | 17 | Grossesses non désirées | IRD |
Légende
Mortalité au Sahel, 2025. Source : WHO, TV5 Monde, Africa Radio, IRD.
Le Poids des Crises Multiples
La mortalité maternelle au Sahel n’est pas seulement une question de santé publique. Elle est liée à un enchevêtrement de crises.
- Crise sécuritaire : les jihadistes imposent des zones interdites aux ONG.
- Crise politique : les juntes militaires perçoivent souvent les acteurs internationaux comme des intrus.
- Crise économique : la pauvreté limite l’accès aux soins.
- Crise sociale : mariages précoces, grossesses adolescentes et violences basées sur le genre amplifient le risque de décès maternel.
La pandémie de Covid-19 a accentué la fragilité : selon certaines estimations, elle a provoqué une hausse de 20 % de la mortalité maternelle dans la région.
Résilience et Espoir
Malgré ce contexte hostile, des lueurs d’espoir persistent. Le FNUAP et d’autres organisations mettent en place des centres de lutte contre les violences basées sur le genre, organisent des formations pour les sages-femmes et distribuent des produits de santé essentiels.
Keita
Nous allons partout où il faut pour aider les femmes et les jeunes
Son engagement est clair : « On reste et on travaille avec les gouvernements. »
Donner la Priorité à la Vie : Quelles Solutions ?
Sortir le Sahel de cette spirale mortelle demande une volonté politique et des solutions concrètes :
- Investir dans les infrastructures médicales locales : des hôpitaux équipés, des maternités accessibles et des cliniques mobiles dans les zones rurales.
- Déployer la télémédecine : avec la pénétration croissante du mobile, la formation à distance et les consultations virtuelles pourraient sauver des vies en zones isolées.
- Former massivement des sages-femmes et agents de santé : leur présence réduit de près de 80 % les risques de mortalité maternelle.
- Améliorer l’accès à la contraception : réduire les grossesses non désirées et précoces, responsables d’une part importante des décès.
- Encourager la coopération régionale : mutualiser les ressources médicales et humanitaires pour compenser la faiblesse des systèmes nationaux.
- Impliquer les communautés locales : en renforçant l’éducation des filles, en luttant contre les mariages précoces et en sensibilisant les hommes aux enjeux de la santé maternelle.
Une Urgence qui Dépasse les Frontières
La lutte contre la mortalité maternelle au Sahel est un test moral pour la communauté internationale. Le monde a montré qu’il pouvait faire reculer ce fléau : -40 % en 25 ans. Mais si cette région continue de saigner, c’est moins une fatalité qu’un manque de choix politiques courageux.
Chaque décès maternel n’est pas qu’un chiffre, c’est une promesse de vie brisée. Tant que des femmes comme Amina continueront d’entrer en salle d’accouchement en craignant pour leur vie, la mission restera inachevée.

