Artères vitales d’une économie mondialisée, les ports maritimes sont plus que jamais au cœur des stratégies de développement en Afrique de l’Est et dans l’Océan Indien. Pour ces nations insulaires (Madagascar, Maurice, Seychelles, Comores) ou dépendantes du commerce maritime pour leurs exportations et importations (Kenya, Tanzanie…), l’efficacité des infrastructures portuaires est un facteur clé de compétitivité. Conscients des enjeux – accueillir des navires toujours plus grands, fluidifier des échanges en croissance, capter les opportunités de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) et intégrer les révolutions technologiques et écologiques – les principaux ports de la région sont engagés dans une course effrénée à la modernisation. Une transformation à coups de milliards de dollars qui redessine la carte logistique régionale.
Pression sur les Quais, l’Urgence d’une Mise à Niveau
Le statu quo n’est plus une option. La taille croissante des porte-conteneurs impose des quais plus longs, des tirants d’eau plus profonds et des équipements de manutention plus performants. Surtout, la congestion endémique et les temps de passage excessifs (dwell times) qui ont longtemps plombé la réputation de certains hubs régionaux ne sont plus tolérables à l’heure où la fluidité de la chaîne logistique est un avantage concurrentiel majeur. L’objectif est clair : réduire les coûts et les délais pour attirer les lignes maritimes, désenclaver les économies nationales et faciliter le commerce intra-africain, dont le potentiel, souligné par l’UNCTAD dans le cadre de la ZLECAf, dépend largement d’infrastructures efficaces. Améliorer le classement dans les indices de performance logistique (comme le LPI de la Banque Mondiale) est devenu un indicateur clé suivi de près par les gouvernements et les investisseurs.
Chantiers Emblématiques, Ambitions Régionales
Cette volonté de modernisation se traduit par des projets d’envergure :
- À Toamasina (Madagascar) : Le poumon économique de la Grande Île bénéficie d’un projet d’extension majeur financé en grande partie par la JICA (Agence Japonaise de Coopération Internationale) avec une participation de l’État malgache. Malgré des retards liés à la situation sanitaire, la première phase (renforcement de brise-lames, installations temporaires) est achevée. La seconde phase, prévue jusqu’en 2026, inclut la construction d’un nouveau quai à conteneurs (C4) de 470m à -16m de profondeur et d’un terre-plein de 10 hectares. À terme, le port vise à tripler sa capacité et à pouvoir accueillir simultanément des navires de taille Panamax, un atout crucial pour les importations et exportations malgaches.
- À Mombasa et Lamu (Kenya) : Confronté à une saturation proche et à la concurrence régionale, le port de Mombasa, géré par la Kenya Ports Authority (KPA), multiplie les investissements : nouvelles grues portiques acquises, construction d’un nouveau quai (Berth 23) planifiée avec l’aide de la JICA, amélioration des accès routiers (Kipevu Road). Face aux contraintes financières de la KPA, le gouvernement kenyan a annoncé en avril 2025 vouloir recourir à des Partenariats Public-Privé (PPP) pour financer de nouvelles expansions à Mombasa et au port plus récent de Lamu, pièce maîtresse du corridor LAPSSET visant à désenclaver le nord du Kenya et ses voisins.
- À Dar es Salaam (Tanzanie) : Pour regagner des parts de marché et améliorer son efficacité, le port tanzanien a franchi une étape décisive en octobre 2023 en confiant la concession de son terminal à conteneurs à l’opérateur global DP World. Avec un investissement initial annoncé de 250 millions USD (potentiellement 1 milliard sur 30 ans), DP World vise à moderniser les opérations, développer des zones logistiques attenantes et renforcer le rôle de Dar es Salaam comme porte d’entrée pour les pays enclavés de la région (Rwanda, Burundi, Est de la RDC…). Les premiers résultats en termes d’efficacité sont attendus de près.
- À Port Louis (Maurice) : Jouant la carte de hub de transbordement régional et de centre d’activités de Freeport, Port Louis a déjà investi massivement pour accueillir de très grands porte-conteneurs (quai de 800m, profondeur de -16,5m, capacité portée à environ 1 million d’EVP – équivalent vingt pieds). Pour anticiper la croissance post-2025, des études (financées par la BAD) sont en cours pour un projet encore plus ambitieux : un « Island Container Terminal » d’une capacité additionnelle de 1,5 million d’EVP, confirmant la volonté de Maurice de rester un acteur incontournable de la logistique dans l’Océan Indien.
L’Ère du « Smart Port », le Digital au Service de la Fluidité
La modernisation ne se mesure pas qu’en mètres de quai ou en tonnes de béton. La digitalisation est devenue un levier essentiel d’efficacité. Le déploiement de « Port Community Systems » (PCS), plateformes collaboratives numérisant les échanges d’informations entre tous les acteurs portuaires (autorité portuaire, douanes, agents maritimes, transporteurs…), permet de réduire drastiquement les délais administratifs et les documents papier. Couplés à des Terminal Operating Systems (TOS) performants et à une automatisation croissante de certaines tâches (gestion des portiques, prise de rendez-vous pour les camions), ces outils « Smart Port » visent à optimiser chaque maillon de la chaîne logistique portuaire pour une fluidité accrue.
Vague Verte sur les Docks, l’Impératif Écologique
La pression environnementale s’accentue sur le secteur maritime et portuaire. La stratégie 2023 de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) visant la neutralité carbone « proche de 2050 » impose une transition vers des navires moins polluants, mais aussi vers des ports plus « verts ». Cela se traduit par un intérêt croissant pour des solutions comme :
- L’alimentation électrique à quai (« cold ironing » ou « shore power ») pour réduire les émissions des navires en escale.
- L’utilisation d’énergies plus propres pour les équipements portuaires (grues électriques, remorqueurs GNL ou hybrides).
- Des pratiques de dragage et de gestion des sédiments plus respectueuses des écosystèmes marins.
- Une meilleure gestion des déchets générés par les navires et les activités portuaires. Devenir un « Green Port » est un défi coûteux mais aussi un argument de compétitivité pour attirer des lignes maritimes soucieuses de leur empreinte environnementale.
Investissements Massifs, Connexion Cruciale
Ces transformations requièrent des investissements colossaux. Si les opérateurs privés mondiaux (DP World, TIL/MSC, CMA Terminals…) et les bailleurs de fonds internationaux (BAD, Banque Mondiale, JICA, AFD…) jouent un rôle clé, souvent via des PPP, la participation des États reste essentielle pour les infrastructures de base et la planification stratégique. Cependant, l’un des principaux défis, souligné par de nombreux experts (OCDE, UNCTAD), demeure la connectivité de l’hinterland. Des ports ultra-modernes perdent une grande partie de leur avantage si les marchandises ne peuvent être acheminées rapidement et à coût raisonnable vers l’intérieur du pays (ou depuis l’intérieur vers le port) faute de routes, de voies ferrées ou de voies navigables efficaces. Ce goulet d’étranglement est particulièrement critique pour les pays enclavés dépendant des ports de leurs voisins.
Bâtir les Artères d’une Économie Régionale Intégrée
La modernisation portuaire en cours en Afrique de l’Est et dans l’Océan Indien est bien plus qu’une simple mise à niveau technique ; c’est une refonte stratégique des portes d’entrée et de sortie économiques de la région. Dans un contexte de croissance attendue du commerce mondial et de mise en œuvre progressive de la ZLECAf, disposer de ports performants, fiables, sécurisés, digitalisés et engagés dans une démarche environnementale est une condition sine qua non pour attirer les investissements, réduire les coûts logistiques et améliorer la compétitivité globale.
La course est lancée, et la concurrence est vive. Le succès ne dépendra pas uniquement des infrastructures physiques, mais d’une approche intégrée combinant technologie « intelligente », engagement « vert », gouvernance transparente et, de manière cruciale, une connexion fluide et efficace avec l’arrière-pays. Les choix stratégiques et les investissements réalisés aujourd’hui détermineront quels ports deviendront les véritables poumons logistiques de la région pour les décennies à venir.