Nous aimons croire que nous sommes des êtres rationnels. Que nos choix reposent sur la logique, les faits, la science. Pourtant, il suffit d’un signe, d’un geste ou d’une date particulière pour que nos certitudes vacillent. Un miroir qui se brise, un chat noir qui traverse la route, un vendredi 13… Et soudain, une inquiétude sourde s’installe. La superstition agit en silence, comme un fil invisible reliant notre monde moderne à nos peurs les plus anciennes.
Un Héritage Ancestral Toujours Vivant
La superstition est profondément enracinée dans nos cultures. Elle vient d’un temps où l’homme cherchait à comprendre un univers imprévisible, où les maladies, les catastrophes et la mort semblaient surgir sans raison. Pour conjurer l’inconnu, il a inventé des explications, des symboles, des rituels.
À Madagascar, on parle des fady, ces interdits ancestraux qui régissent la vie quotidienne. Ne pas pointer du doigt une tombe, ne jamais siffler la nuit, éviter certains aliments selon son clan… Ces croyances ne sont pas de simples caprices culturels : elles rappellent une époque où chaque geste avait une résonance spirituelle.
Dans les îles voisines de l’Océan Indien, les croyances sont tout aussi vivaces. À La Réunion, les récits de sorcellerie, de sorts jetés par des guérisseurs ou des bonnes femmes, influencent encore des décisions familiales. Aux Comores, on consulte souvent des marabouts avant un mariage ou un voyage important.
Un Moyen de Reprendre le Contrôle sur l’Invisible
La superstition est une réponse humaine à une angoisse universelle : celle de l’incertitude. Elle offre l’illusion d’un contrôle.
Un étudiant malgache porte toujours le même lamba ou une pièce bénie dans sa poche avant un examen. Un pêcheur de l’île Sainte-Marie ne sortira pas en mer si un présage négatif se présente, comme un oiseau tournant trop bas. Une mère évitera de sortir son nouveau-né avant un certain nombre de jours, de peur d’attirer un mauvais œil.
Ces gestes ne changent peut-être pas le cours des choses, mais ils apaisent. Ils donnent une sécurité symbolique. Car la superstition, avant d’être irrationnelle, est un refuge.
Des Décisions plus Profondes qu’on Ne l’imagine
Ce qui peut sembler anodin influence parfois des décisions lourdes. Certains jours sont jugés fady pour commencer un chantier ou un mariage. Dans certains villages, on n’ose pas bâtir une maison sur un terrain où l’on a vu des feux mystérieux, car on dit que c’est un lieu habité par les ancêtres.
Même dans les affaires, la superstition laisse sa trace. Certains commerçants choisissent l’ouverture de leur boutique selon les phases lunaires. Des entrepreneurs retardent un projet si un rêve “mauvais signe” est survenu la veille. Parce qu’au fond, personne n’est totalement imperméable à la peur de l’invisible.
Une Force qui Soude Autant qu’elle Divise
La superstition ne touche pas seulement l’individu : elle façonne les communautés. Partager les mêmes croyances, respecter les mêmes tabous, c’est se reconnaître comme appartenant au même monde. Les fady sont des repères culturels, des marqueurs d’identité.
Mais elle peut aussi exclure. Celui qui enfreint une interdiction devient suspect. Celui qu’on accuse d’attirer le malheur peut être rejeté. Et celui qui n’y croit plus est parfois vu comme quelqu’un qui “ne respecte pas les ancêtres”.
Entre Tradition et Modernité
On pourrait croire que la science et la modernité effaceraient tout cela. Mais elles n’ont fait que déplacer le terrain. Aujourd’hui, les superstitions se transforment. On lit son horoscope sur internet, on suit des “rituels de chance” sur TikTok. Dans les grandes villes comme dans les campagnes, elles persistent, discrètes mais tenaces.
Pourquoi ? Parce que la superstition répond à un besoin profond : celui de donner du sens à ce qui nous échappe. Même les plus sceptiques ont parfois un geste irrationnel, un petit rituel qu’ils ne s’avouent pas.
Une Faiblesse ou Une part d’humanité ?
Certains y voient une faiblesse, une entrave au progrès. Mais on peut aussi y voir une part profondément humaine. Derrière chaque superstition se cache une émotion : la peur, l’amour, le désir de protéger, l’envie de croire qu’on n’est pas seul face au destin.
En fin de compte, la superstition est un miroir : elle reflète nos doutes, nos désirs, nos blessures. Elle est une tentative de mettre de l’ordre dans le chaos.
Et si la Superstition avait Encore quelque chose à Nous Apprendre ?
Plutôt que de la mépriser, il est peut-être temps de la comprendre. Non pour la suivre aveuglément, mais pour écouter ce qu’elle dit de nous. Car même à l’ère des satellites et des intelligences artificielles, nous restons des êtres en quête de sens, vulnérables face à l’invisible.
Et parfois, il suffit d’un petit geste symbolique pour nous rappeler que, malgré la raison, nous avons toujours besoin de croire.