Ils s’appellent Lova, Amina ou Juma.
Ils ont 9, parfois 12 ans, et portent déjà sur leurs épaules le poids du monde adulte. On les voit rarement dans les statistiques, encore moins dans les manuels scolaires. Ils cassent des pierres, cueillent des gousses de vanille, réparent des sandales usées sur les marchés de brousse. Ce sont les enfants invisibles. Ceux qu’on croise sans vraiment les voir, ceux qui grandissent sans enfance. Leur quotidien est dur, silencieux, et pourtant indispensable à des pans entiers de notre économie. Les oublier, c’est accepter l’inacceptable.

Enfants au travail, enfance volée
Ils sont des milliers. Parfois invisibles aux yeux des autorités, souvent ignorés par les circuits officiels de l’économie. Et pourtant, ils triment dès l’aube : dans les mines artisanales de Madagascar, les champs de sisal du Kenya, les briqueteries tanzaniennes, les marchés de Toamasina ou d’Antananarivo. Le travail des mineurs reste une plaie silencieuse, une réalité endémique que l’essor économique ne semble pas freiner.

Le travail des enfants, une réalité banalisée
Selon l’UNICEF et l’OIT, plus de 86 millions d’enfants travaillent en Afrique subsaharienne. Madagascar, bien qu’engagée dans la lutte, reste parmi les pays les plus touchés, avec près de one child in four (selon le BIT) engagé dans des formes de travail jugées dangereuses. Dans l’Est du continent, l’agriculture, les mines, le bâtiment, et les petits commerces captent l’essentiel de cette main-d’œuvre infantile.
Ce phénomène ne touche pas seulement les zones rurales : dans les quartiers populaires d’Antsirabe, de Mombasa ou de Dar es Salaam, des enfants de 8 à 14 ans travaillent comme domestiques, livreurs, ou vendeurs de rue. Beaucoup ont quitté l’école, parfois poussés par leurs propres parents.
Pauvreté structurelle et chaînes de survie
À la racine, une pauvreté chronique. Pour de nombreuses familles, le choix n’en est pas un : l’enfant devient un revenu supplémentaire, parfois le seul. À Madagascar, où plus de 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, un enfant qui casse des pierres dans une carrière peut rapporter l’équivalent de 3 000 à 5 000 ariary par jour (moins d’un euro), mais cela suffit à acheter du riz. En Afrique de l’Est, l’économie informelle intègre ces enfants sans les protéger, les exposant aux abus, aux accidents, à l’exploitation.
Des filières économiques alimentées par l’enfance
Le paradoxe est cruel : certains secteurs dits « dynamiques » comme l’agriculture d’exportation, la fabrication textile ou les activités minières sont discrètement alimentés par ce travail enfantin. Dans certaines zones aurifères du nord de Madagascar ou de Tanzanie, des enfants travaillent à la batée, exposés au mercure. Dans les plantations de vanille ou de café, ils participent aux récoltes, souvent pour des intermédiaires qui échappent à tout contrôle.
Une législation souvent impuissante
Certes, Madagascar comme la plupart des pays de la région a ratifié les conventions de l’OIT contre le travail des enfants. Des plans d’actions nationaux existent, mais leur mise en œuvre est lente, souvent sous-financée, et contournée par l’ampleur de l’informalité. Par ailleurs, les sanctions contre les employeurs sont rares, et les contrôles du travail quasiment inexistants en zones rurales.
Des initiatives qui tentent d’inverser la tendance
Des ONG comme Terre des Hommes, UNICEF ou Helvetas développent des programmes de scolarisation-reinsertion, avec des résultats encourageants. À Madagascar, certains projets pilotes couplent aide financière aux familles et maintien à l’école des enfants, avec un fort engagement communautaire. D’autres misent sur des labels éthiques dans la filière vanille ou textile pour décourager les pratiques illégales.
L’enfance comme priorité économique
Lutter contre le travail des mineurs ne relève pas uniquement d’une obligation morale. C’est aussi une urgence économique et sociétale. Une génération sacrifiée aujourd’hui signifie une productivité en berne demain, un affaiblissement du capital humain, un frein au développement. Reconnaître ces « enfants invisibles », c’est commencer par les rendre visibles dans les politiques publiques, les statistiques, les priorités budgétaires.