Une conjonction économique puissante est en train de remodeler le paysage énergétique africain. D’un côté, une surproduction industrielle massive en Chine qui fait chuter les prix des panneaux solaires. De l’autre, un besoin énergétique colossal sur un continent où plus de 600 millions de personnes vivent sans électricité. Le résultat, mis en lumière par une récente analyse du groupe de suivi Ember, est une vague d’exportations sans précédent : en seulement un an, de juillet 2024 à juin 2025, l’Afrique a importé de Chine de quoi générer plus de 15 gigawatts (GW) d’énergie solaire, un volume qui pourrait presque doubler la capacité totale installée sur le continent en 2023.
Le dilemme chinois : une surcapacité industrielle en quête de marchés
Cette marée solaire n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence directe de la stratégie industrielle chinoise et des tensions commerciales mondiales. Des années de subventions massives et de compétition interne féroce ont fait de la Chine le leader incontesté de la production de technologies vertes. Mais cette hyper-efficacité a mené à une surcapacité de production colossale. Alors que les marchés américain et européen se ferment progressivement via des barrières tarifaires, les entreprises chinoises se sont retrouvées avec un besoin « désespéré de nouveaux marchés ». L’Afrique, avec ses besoins immenses et sa demande croissante, est devenue l’exutoire naturel et stratégique de ce surplus.
L’effet d’aubaine : une révolution solaire décentralisée en Afrique
Pour le continent africain, cette situation est une aubaine inespérée. Face à la lenteur et au coût prohibitif de l’extension des réseaux électriques nationaux, et à la dépendance des entreprises envers des générateurs diesel coûteux et polluants, l’arrivée de panneaux solaires à bas prix est un véritable game-changer. Si les grands projets de fermes solaires peinent encore à décoller, cette vague d’importations alimente une révolution silencieuse et décentralisée. Ce sont les toits des maisons, des cliniques, des écoles et des petites entreprises qui, du Nigeria à la Sierra Leone, s’équipent massivement, apportant une énergie fiable là où le réseau est défaillant ou inexistant.
Une dépendance à double tranchant ?
Cette dynamique vertueuse n’est cependant pas sans poser de questions stratégiques. Comme le souligne le professeur Kevin Gallagher, « l’Afrique n’a pas de temps à perdre avec les tensions géopolitiques, elle a juste besoin d’énergie verte et bon marché ». Si le bénéfice à court terme est indéniable, cette dépendance quasi-totale à la chaîne d’approvisionnement d’un seul pays pour une technologie aussi critique pourrait comporter des risques à long terme. Elle freine également l’émergence d’une industrie manufacturière solaire locale, confinant pour l’instant le continent à un rôle de consommateur dans la transition énergétique.
Du panneau à la prise : le défi de la concrétisation
Le rapport d’Ember se base sur les données d’exportation ; le véritable impact de cette vague solaire dépendra de la rapidité et de l’efficacité avec laquelle ces 15 GW de panneaux seront installés et connectés. De plus, malgré cette percée du solaire, l’Agence Internationale de l’Énergie rappelle que près des deux tiers des investissements énergétiques en Afrique sont encore dirigés vers les énergies fossiles. La révolution solaire est en marche, portée par les toits et les PME, mais elle doit encore convaincre les planificateurs et les grands investisseurs pour transformer durablement le destin énergétique du continent.

