Des braises encore fumantes, au sens propre comme au figuré. Le centre-ville de Nairobi s’est réveillé jeudi matin dans un silence pesant, interrompu seulement par le bruit des balais sur l’asphalte noirci. Des bâtiments calcinés, des devantures éventrées, et des commerçants les yeux embués de rage et de désespoir : c’est le lendemain d’un nouveau jour de chaos au Kenya.
Une jeunesse à bout de souffle
La journée du 26 juin a été marquée par une nouvelle mobilisation de la jeunesse kényane, en majorité rassemblée sous la bannière informelle de la « Gen Z ». Ce mouvement, spontané, décentralisé, souvent organisé via les réseaux sociaux, commémorait les violences d’il y a un an — mais surtout, dénonçait une actualité brûlante : la mort d’Albert Ojwang, un blogueur de 31 ans décédé après avoir été placé en détention. Une affaire explosive, d’autant plus que l’arrestation faisait suite à une plainte du chef adjoint de la police nationale.
Répression sanglante
Selon l’ONG Amnesty Kenya, les manifestations ont viré au drame : 16 personnes auraient été tuées par balles, toutes victimes présumées de tirs policiers. Aucun bilan officiel n’a été communiqué par les forces de l’ordre, et la police, sollicitée par l’agence Reuters, est restée silencieuse.
Sur le terrain, la violence s’est propagée au-delà de la capitale. Des scènes similaires ont été signalées dans au moins 26 comtés du pays : affrontements, pillages, incendies criminels. À Nairobi, la police a utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour disperser les manifestants. Plusieurs personnes ont été blessées dans les heurts.
Des pertes colossales pour les petits commerçants
« Regardez ce qu’ils ont brûlé. S’il vous plaît, que le gouvernement parle avec la Gen Z. Ce sont eux qui ont poussé les jeunes à bout », soupire Ibrahim Hamisi, propriétaire d’un des immeubles incendiés. Plus loin, Josephine Apondi, commerçante, déplore le vol de près de deux millions de shillings (environ 15 500 dollars) de téléphones et d’appareils électroniques. « On survit à peine. Certains jours, on n’a pas une seule vente. Ce commerce, c’est toute ma vie », confie-t-elle, le regard perdu.
La fracture générationnelle en ligne de mire
Ces événements soulignent une fracture profonde, non seulement sociale, mais aussi générationnelle. La « Gen Z » kényane, souvent marginalisée économiquement, connectée mais désabusée, ne croit plus aux promesses institutionnelles. Le souvenir encore vif des 60 morts lors des manifestations contre la hausse des taxes en 2024 renforce cette défiance.
Vers une réponse judiciaire ?
Le cas Albert Ojwang pourrait devenir un point de bascule. Le parquet kényan a autorisé des poursuites pour meurtre contre six personnes, dont trois policiers. Tous ont plaidé non coupable. Le haut responsable de la police à l’origine de la plainte ayant déclenché l’arrestation, Eliud Lagat, n’a pour l’instant pas commenté l’affaire.
Un appel au dialogue encore inaudible
Si certains appellent à l’apaisement, notamment parmi les commerçants durement touchés, peu croient à une issue pacifique sans une remise en question profonde du système. Par-delà les vitrines brisées, c’est un contrat social qu’il faudra reconstruire. Et vite.