Ce samedi au Vatican, dans l’intimité d’une audience privée, une injustice vieille de plus de soixante ans a été placée sous la plus haute lumière morale. En recevant une délégation de réfugiés de l’archipel des Chagos, le Pape Léon XIV n’a pas seulement offert une consolation spirituelle ; il a pesé de tout son poids symbolique pour affirmer leur « droit de vivre sur leur terre » et dénoncer une histoire où « personne ne peut forcer [un peuple] à l’exil ». Pour les Chagossiens, déracinés au nom de la raison d’État, cette intervention est un « miracle », une bénédiction qui pourrait enfin infléchir le cours de leur long et douloureux combat pour le retour.
Un « péché originel » au cœur de l’Océan Indien
L’histoire des Chagos est celle d’un sacrifice humain sur l’autel de la Guerre Froide. Dans les années 1960 et 1970, le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale, a vidé l’archipel de ses quelque 2 000 habitants pour louer l’île principale, Diego Garcia, aux États-Unis qui souhaitaient y construire une base militaire stratégique. Des familles comme celle de Louis Olivier Bancoult, expulsé à l’âge de quatre ans, ont été déportées vers Maurice ou les Seychelles et abandonnées à leur sort. Pendant des décennies, Diego Garcia est devenue une pièce maîtresse de la projection de puissance américaine dans l’Océan Indien et au Moyen-Orient, tandis que son peuple originel était condamné à l’exil et à la pauvreté.
La lente victoire du droit sur la force
Pendant des décennies, la lutte des Chagossiens, bien que courageuse, s’est heurtée à un mur de cynisme géopolitique. Le tournant majeur est venu en 2019, lorsque la Cour Internationale de Justice (CIJ), plus haute instance judiciaire des Nations Unies, a rendu un avis consultatif historique. La Cour a jugé que le processus de décolonisation de Maurice n’avait pas été légalement mené à bien en 1965, lorsque le Royaume-Uni a unilatéralement séparé l’archipel des Chagos de son ancienne colonie. Elle a conclu que Londres était « dans l’obligation de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos aussi rapidement que possible ». Cet avis, bien que non contraignant, a massivement renforcé la légitimité de la cause chagossienne et mauricienne.
Un traité en demi-teinte ? L’espoir et l’incertitude
C’est sous cette pression juridique et morale que le Royaume-Uni a finalement signé en mai 2025 un traité historique avec Maurice, prévoyant de lui transférer la souveraineté sur l’archipel. L’accord, qualifié de « victoire significative » par le Pape, prévoit une compensation financière, la création d’un fonds fiduciaire pour les Chagossiens et la possibilité pour Maurice de « mettre en œuvre un programme de réinstallation » sur les îles autres que Diego Garcia. Cependant, le texte n’oblige pas à cette réinstallation, laissant planer une incertitude qui inquiète une partie des réfugiés.
La pression morale comme levier diplomatique
C’est précisément dans cette brèche que s’est engouffrée l’intervention papale. En organisant cette audience et en tenant des propos aussi forts, le Vatican envoie, selon l’avocat Philippe Sands, « le signal le plus clair possible aux gouvernements britannique, américain et mauricien que le Vatican s’attend à ce que les Chagossiens puissent revenir ». Cette prise de position transforme une possibilité diplomatique en une obligation morale. Pour Louis Olivier Bancoult, qui a enfin pu rencontrer des officiels américains et britanniques depuis la signature du traité, la bénédiction papale est la force qui manquait pour la dernière étape. Le long chemin du retour est encore semé d’embûches logistiques et politiques, mais il n’a jamais semblé aussi proche. La conscience du monde, désormais, les regarde.

