À Madagascar, le zébu n’est pas seulement une bête à cornes. C’est une clé de lecture. De la brousse à la ville, des rituels funéraires aux marchés à bestiaux, cet animal incarne un pan entier de l’histoire, de l’économie et de l’imaginaire collectif malgache. Il est richesse, repère, pouvoir, mémoire. Mais il est aussi à la croisée des chemins, pris entre tradition et mutation sociale.
Une richesse Symbolique plus Forte que la Monnaie
Dans de nombreuses régions malgaches, le zébu vaut plus que l’argent. Il sert à payer les dots, sceller des alliances, honorer les morts, expier les fautes. Il est le marqueur visible de la réussite sociale, parfois plus que le salaire ou le patrimoine immobilier.
Dans la pratique du famadihana (retournement des morts), le sacrifice de zébus accompagne le passage entre les mondes. L’acte n’est pas seulement religieux : il affirme le rang de la famille, sa capacité à honorer les ancêtres et sa place dans la société.
Le zébu n’est pas individualisé, il est collectif. Il dit l’homme à travers la lignée, pas à travers le compte bancaire. Un système de valeurs à rebours des logiques capitalistes classiques.
L’élevage, Pilier agricole Souvent Négligé
Pourtant, sur le plan économique, l’élevage bovin reste un secteur sous-exploité. Madagascar compte l’un des plus grands cheptels d’Afrique australe, avec plus de 10 millions de têtes, mais l’essentiel reste destiné à la consommation locale ou aux cérémonies, rarement à l’exportation.
Les filières viande et cuir souffrent d’un manque de structuration. L’abattage est encore majoritairement informel, les normes sanitaires difficiles à appliquer, et les pertes économiques importantes. Ironiquement, le zébu est à la fois survalorisé culturellement et sous-valorisé économiquement. Un paradoxe typique des secteurs « patrimonialisés », où l’attachement symbolique freine la modernisation.
Un Vecteur de Tensions et d’Insécurité
Dans le sud du pays notamment, le zébu est devenu source de conflits violents. Les vols de troupeaux — les fameux dahalo — alimentent une économie parallèle et gangrènent des zones entières. Ces bandes organisées, souvent mieux armées que les forces locales, exploitent les tensions sociales et les vides institutionnels.
Le zébu devient alors arme, rançon, mobile de meurtres. Des villages sont déplacés, les jeunes enrôlés de force, et l’élevage traditionnel menacé de disparition dans certaines zones.
Là encore, l’animal raconte une histoire plus large : celle d’un État affaibli, d’un monde rural abandonné, et d’un système sécuritaire inadapté.
Entre Héritage et Réinvention
Malgré ces tensions, de nouvelles formes d’exploitation du zébu émergent. Des jeunes entrepreneurs investissent dans des fermes modernes. Le cuir malgache suscite un regain d’intérêt à l’international, notamment dans la maroquinerie de luxe. Des projets agro-pastoraux associent traditions d’élevage et innovation vétérinaire.
Mais ces initiatives restent isolées. La transmission du savoir-faire, la formation des jeunes, la maîtrise des circuits de distribution manquent de structuration. Sans politique publique volontariste, le potentiel du secteur restera bridé.
Une Icône Nationale à Préserver et à Repenser
À l’image du baobab ou du lamba, le zébu est un emblème de Madagascar. Il est sur les billets, dans les discours politiques, dans les slogans identitaires. Il rassure, relie, raconte. Mais peut-il survivre sans évoluer ?
Le défi est là : préserver le symbolique sans figer l’économique. Faire du zébu un pilier vivant, pas un vestige folklorique. Cela suppose de conjuguer respect des pratiques, sécurisation des éleveurs et modernisation des filières.
À Madagascar, le zébu est un miroir. Il reflète ce que le pays valorise, redoute, espère. L’avenir de l’animal — comme celui du pays — se jouera dans sa capacité à faire dialoguer les ancêtres et les fils du numérique, les coutumes et les défis contemporains.

