En août 2022, la nomination du Général Michael E. Langley à la tête du Commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) était historique. Trois ans plus tard, en août 2025, il est clair que sa mission a consacré un changement de paradigme fondamental pour la stratégie américaine sur le continent. Loin de n’être qu’un outil de contre-terrorisme, AFRICOM est devenu le fer de lance de la politique géo-économique de Washington en Afrique. Son nouveau « business model » : vendre la sécurité comme le socle indispensable à l’investissement occidental, une proposition de valeur destinée à contrer les offres concurrentes, plus directes, de la Chine et de la Russie.
Le dogme « 3D » : de la contre-terreur à la compétition économique
La doctrine qui sous-tend l’action de Langley peut se résumer en trois lettres : 3D, pour « Défense, Diplomatie, Développement ». L’idée est simple : la Défense, assurée par AFRICOM à travers des partenariats et la formation, crée l’environnement stable nécessaire à l’action de la Diplomatie et, surtout, à l’arrivée des capitaux privés favorisant le Développement. C’est un changement majeur. Il ne s’agit plus seulement de pourchasser des groupes extrémistes, mais de créer une « zone de confiance » pour les entreprises américaines et européennes. AFRICOM ne se bat plus seulement contre des terroristes ; il se bat pour des parts de marché. Il offre un modèle « clés en main » : la stabilité contre des investissements alignés sur les valeurs occidentales, un contre-point direct aux infrastructures chinoises « sans conditionnalités » et aux services de sécurité « à la carte » russes.
Le Sahel, laboratoire d’un échec américain ?
Cependant, ce modèle a connu une épreuve du feu dévastatrice au Sahel. La succession de coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, suivie du départ des forces occidentales et de l’arrivée massive de l’influence russe, représente un échec stratégique et économique cuisant pour Washington. Cet « arc de la junte » a démontré que lorsque la situation sécuritaire se dégrade trop, l’offre « 3D » devient inaudible. Les régimes militaires n’ont pas acheté la promesse d’investissements futurs ; ils ont préféré la garantie de survie immédiate offerte par Moscou. Pour les États-Unis, la perte du Sahel n’est pas seulement une défaite géopolitique, c’est la faillite de leur produit d’appel dans une région entière.
Redéploiement côtier pour sécuriser les hubs de croissance
Face à cet échec, la stratégie d’AFRICOM s’est visiblement réorientée. L’effort se concentre désormais sur l’endiguement de la menace et la consolidation des partenariats avec les États côtiers d’Afrique de l’Ouest, comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin ou le Togo. Ces pays ne sont pas seulement des remparts contre l’expansion djihadiste ; ils sont surtout des hubs économiques et logistiques essentiels. En renforçant la sécurité de ces nations, Washington ne fait pas de l’humanitaire : il protège ses propres intérêts économiques et ceux de ses alliés, sécurisant des corridors commerciaux vitaux et des marchés en croissance où son modèle peut encore prospérer.
AFRICOM, un « produit d’appel » pour le modèle occidental ?
Trois ans après l’arrivée du Général Langley, le bilan d’AFRICOM est donc contrasté. Sa transformation en outil géo-économique est une réponse logique à la compétition mondiale. Mais son efficacité dépend de sa capacité à convaincre les partenaires africains que la promesse de stabilité et de prospérité à long terme est plus attractive que les résultats tangibles et rapides offerts par ses rivaux. La question qui se pose en 2025 est donc moins militaire qu’économique : la sécurité « made in USA » est-elle un produit d’appel suffisamment puissant pour maintenir l’Afrique dans l’orbite d’un Occident qui doit prouver que ses investissements, au-delà des discours, peuvent véritablement transformer le continent ?

