Vaste étendue aux écosystèmes riches et complexes, l’Océan Indien et les eaux bordant l’Afrique de l’Est représentent bien plus qu’un simple espace maritime. Ils sont le creuset d’un potentiel économique immense, regroupé sous le concept de plus en plus stratégique “d’Économie Bleue ». Pour les nations insulaires comme Madagascar, Maurice, les Seychelles ou les Comores, ainsi que pour les États côtiers d’Afrique de l’Est, l’océan est une ressource vitale, porteuse d’espoirs de croissance et de diversification. L’actualité récente, marquée par la tenue à Madagascar en avril 2025 du Forum des Jeunes Africains sur l’Économie Bleue (FOJAEB), co-organisé par le Ministère malgache de la Pêche et de l’Économie Bleue (MPEB) et l’Organisation Panafricaine de la Jeunesse pour l’Économie Bleue (OPJEB), témoigne de cette prise de conscience et de la volonté d’impliquer les nouvelles générations. Mais au-delà des ambitions affichées, quels sont le potentiel réel, les défis colossaux et les conditions impératives pour que cet « Or Bleu » se traduise en développement véritablement durable et inclusif ?
Une Mosaïque d’Opportunités Marines et Côtières
L’économie bleue englobe un large éventail d’activités économiques liées aux océans, aux mers et aux côtes. Dans la région Océan Indien / Afrique de l’Est, plusieurs secteurs clés se distinguent :
- Pêche et Aquaculture Durables : Traditionnellement pilier économique et source de sécurité alimentaire, la pêche fait face à des défis majeurs de surexploitation pour certaines espèces (comme le thon albacore) et à la plaie de la pêche Illégale, Non déclarée et Non réglementée (INN). Le développement d’une aquaculture durable (poissons, crevettes, algues, concombres de mer comme visité lors du FOJAEB à Toliara) offre un potentiel de croissance significatif, à condition d’être géré de manière responsable pour éviter les impacts négatifs sur l’environnement côtier.
- Tourisme Côtier et Marin : Les plages idylliques, les récifs coralliens et la richesse de la vie marine attirent les touristes du monde entier. Le défi est de développer un tourisme « bleu » durable, qui minimise son empreinte écologique (gestion des déchets, protection des sites de plongée…) et maximise les retombées pour les communautés locales, un thème également abordé lors du FOJAEB.
- Transport Maritime et Activités Portuaires : Essentiels aux échanges, les ports de la région (comme évoqué dans un précédent article) se modernisent. L’enjeu « bleu » est d’intégrer les exigences environnementales : réduction des émissions des navires (OMI 2023), gestion des eaux de ballast, développement potentiel de ports « verts ».
- Énergies Marines Renouvelables : Le potentiel existe (énergie thermique des mers, éolien offshore, énergie des vagues), mais reste largement sous-exploité en raison des coûts technologiques et des défis d’ingénierie dans la région. Maurice explore activement l’utilisation de l’eau de mer profonde (SWAC).
- Biotechnologies Bleues et Ressources Marines Non Vivantes : L’exploration des ressources génétiques marines ou des minéraux sous-marins représente un potentiel futur, mais soulève d’importantes questions environnementales et de gouvernance.
Stratégies Nationales et Balbutiements Régionaux
Plusieurs pays de la zone ont affiché leur volonté d’intégrer l’économie bleue dans leurs stratégies de développement. Maurice a une feuille de route ambitieuse visant à faire passer la contribution de l’économie bleue à 20% du PIB, en consolidant les secteurs traditionnels (pêche, tourisme, port) et en développant les filières émergentes (aquaculture, biotechnologies, services maritimes). Les Seychelles sont pionnières avec l’émission de la première « obligation bleue » souveraine au monde en 2018 et une politique active de création de vastes Aires Marines Protégées (AMP), financée en partie par des mécanismes innovants de conversion de dette (« debt-for-nature swap »). Madagascar, qui s’est dotée d’un Ministère dédié en 2021 et a défini l’économie bleue comme une exploitation préservant les écosystèmes, cherche à structurer sa démarche, comme en témoigne l’organisation du FOJAEB. Les Comores bénéficient également d’appuis (notamment de la BAD) pour développer leurs infrastructures portuaires dans une perspective d’intégration régionale bleue. La coopération régionale (via la Commission de l’Océan Indien, l’Union Africaine et ses agences comme AU-BIRA) est essentielle mais reste un défi pour gérer des ressources par nature transfrontalières.
Le Mur des Réalités : Défis Écologiques et Économiques
L’océan Indien, bien que riche, est un écosystème fragile et sous pression :
- Urgence Climatique : La région se réchauffe plus vite que d’autres océans tropicaux. Le blanchissement des coraux devient massif et fréquent, menaçant la biodiversité et les pêcheries qui en dépendent. La montée du niveau de la mer et l’acidification des océans sont des menaces directes pour les zones côtières et les économies insulaires. La protection des écosystèmes marins et côtiers était logiquement un panel clé du FOJAEB.
- Pollution Marine : La pollution plastique est une plaie visible, affectant la faune marine et potentiellement la santé humaine. Les pollutions terrestres (agricoles, industrielles, eaux usées) dégradent également la qualité des eaux côtières.
- Surexploitation et Pêche INN : Malgré les efforts de gestion (via des organisations comme la CTOI pour le thon), de nombreux stocks sont pleinement exploités ou surexploités. La pêche INN représente une perte économique et écologique considérable pour les pays de la région.
- Gouvernance et Financement : Mettre en place une planification spatiale marine efficace, gérer un réseau cohérent et performant d’Aires Marines Protégées (dont l’efficacité réelle est parfois débattue), assurer la surveillance et le contrôle des activités illégales, et mobiliser les financements nécessaires (publics et privés, via des mécanismes innovants comme la « finance bleue » et la finance climatique discutées au FOJAEB) représentent des défis de gouvernance majeurs.
La Jeunesse Africaine, Acteur Clé de l’Avenir Bleu
La tenue du FOJAEB à Madagascar, réunissant jeunes leaders, entrepreneurs, ministres, experts et partenaires internationaux (UA, UE, ONU Tourisme, FAO, OIT, BAD…), met en lumière un aspect crucial : l’avenir de l’économie bleue en Afrique dépendra largement de l’implication et de l’autonomisation de sa jeunesse. Comme l’a souligné le forum, il est essentiel de sensibiliser les jeunes au potentiel des “métiers de la mer », de développer des formations adaptées (un autre thème clé du FOJAEB), et de créer des opportunités d’emplois « verts et bleus » décents. Des initiatives comme l’OPJEB visent à structurer cette participation et à faire entendre la voix des jeunes dans l’élaboration des politiques.
Vers une Croissance Bleue Véritablement Durable ?
L’économie bleue représente bien plus qu’un nouveau secteur à la mode pour l’Océan Indien et l’Afrique de l’Est. C’est une reconnaissance que l’avenir économique de la région est intrinsèquement lié à la santé de son océan. Le potentiel est immense, mais les risques de répéter les erreurs passées d’exploitation non durable des ressources sont tout aussi grands.
Le succès de la transition vers une économie bleue durable et inclusive ne se mesurera pas seulement en termes de croissance du PIB ou d’investissements attirés.
Il dépendra de la capacité collective à mettre en place une gouvernance maritime forte et transparente, à fonder les décisions sur la meilleure science disponible, à innover dans les mécanismes de financement pour la conservation et l’adaptation, à lutter efficacement contre les activités illégales et la pollution, et surtout, à assurer que les bénéfices de cet « Or Bleu » soient équitablement partagés avec les communautés côtières et la jeunesse, gardiennes futures de cet écosystème vital. Le forum de Madagascar a rappelé l’urgence et l’importance d’engager tous les acteurs, et particulièrement les jeunes, dans cette voie exigeante mais essentielle pour un avenir prospère et résilient.