À l’heure des podcasts et de l’IA générative, certaines voix risquent de ne plus jamais se faire entendre. Pourtant, la parole a longtemps été l’unique outil de transmission des savoirs, de l’histoire, et des valeurs dans les sociétés africaines. Les traditions orales sont plus que de simples récits : elles sont archives vivantes, manuels d’éthique et vecteurs d’identité. Aujourd’hui, leur survie est en jeu. Voici cinq trésors de l’oralité qu’il faut écouter — et faire vivre — avant qu’ils ne sombrent dans l’oubli.
1. Les épopées des griots mandingues
Du Mali à la Guinée, en passant par le Sénégal, les griots (ou djélis) sont les gardiens de l’histoire et des lignées. L’épopée de Soundiata Keïta, récit fondateur de l’empire du Mali, est l’un des piliers de cette tradition. Transmise oralement depuis le XIIIe siècle, elle mêle mythe, mémoire politique et valeurs morales. Mais avec la disparition progressive des griots traditionnels, ce savoir non écrit est menacé de silence.

2. Le hira gasy de Madagascar
Le hira gasy, théâtre musical malgache, mélange chants, danses, contes et discours philosophiques. Né sur les collines des Hautes Terres, il servait jadis à éduquer les masses, critiquer le pouvoir ou valoriser les sagesses rurales. Aujourd’hui, il subsiste difficilement en dehors des fêtes traditionnelles. Pourtant, chaque représentation est un manifeste vivant de la pensée malgache.
3. Les contes peuls du Sahel
Chez les Peuls, l’oralité est le fondement de l’éducation des enfants. On y apprend les valeurs de respect, d’humilité, de courage à travers des contes souvent portés par des figures animales : hyènes rusées, tortues sages, lions orgueilleux. Ces récits se transmettent en famille, au coin du feu. Mais le feu s’éteint, remplacé par les écrans, et la langue peule elle-même recule.
4. Les proverbes swahilis de la côte est-africaine
En Tanzanie, au Kenya ou aux Comores, la sagesse passe par des proverbes. Le swahili regorge de petites phrases puissantes, souvent drôles, toujours pleines de bon sens : “Haraka haraka haina baraka” (la précipitation n’apporte pas la bénédiction). Ces dictons, appris par cœur dès l’enfance, formaient une morale partagée. Mais ils sont aujourd’hui délaissés au profit d’un langage globalisé qui perd en nuance.
5. Le chadjeré des Comores
Récité lors des mariages, le chadjeré est une joute poétique improvisée où deux camps se répondent à coups de vers et d’humour. En plus de divertir, cette tradition codifie les relations sociales et joue un rôle dans la régulation des tensions. Mais sa pratique s’efface avec la transformation des cérémonies et la désaffection des jeunes générations.
Ces traditions orales ne sont pas seulement belles à entendre. Elles nous rappellent que la mémoire collective ne se conserve pas dans des serveurs, mais dans des cœurs et des voix. Les écouter, c’est faire acte de résistance culturelle. Les enregistrer, c’est bien. Les transmettre, c’est mieux. Avant qu’il ne soit trop tard.