Maurice : Arrestation de Harvesh Seegolam (ex-Banque de Maurice) et Renganaden Padayachy (ex-Finances) par la FCC pour détournement présumé via la MIC (fonds Covid).
Un véritable coup de tonnerre a secoué l’establishment politico-financier mauricien début avril 2025. L’ancien Gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), Harvesh Seegolam, et l’ancien Ministre des Finances, Renganaden Padayachy, figures clés de la précédente administration, ont été arrêtés par la Financial Crimes Commission (FCC). Au cœur de l’affaire : des soupçons de détournement de fonds portant sur 300 millions de roupies (environ 6,7 millions USD) via la Mauritius Investment Corporation (MIC), un fonds créé en pleine pandémie. Ces arrestations spectaculaires s’inscrivent dans un contexte politique tendu, marqué par l’arrivée au pouvoir de Navin Ramgoolam en novembre 2024 et sa promesse martelée de lutter contre la corruption et de faire la lumière sur la gestion passée.
Au Cœur de l’Affaire : L’Acquisition Controversée par la MIC
L’enquête de la FCC se concentre sur une transaction spécifique réalisée par la MIC : l’acquisition en 2024 de parts majoritaires (via 1 596 actions) dans la société Eastcoast Hotel Investment Ltd, gestionnaire de l’Hôtel Ambre (appartenant au groupe Apavou). Selon les enquêteurs et les informations relayées par la presse mauricienne, le montant déboursé – 48 millions d’euros, soit environ 2,4 milliards de roupies au taux de l’époque – aurait été supérieur de 300 millions de roupies au prix initialement recommandé (2,1 milliards de roupies).
Les enquêteurs soupçonnent que cette différence constituerait un détournement au préjudice de la MIC. Les accusations porteraient sur une possible collusion pour faciliter cette transaction jugée surévaluée, impliquant également l’ancien CEO de la MIC, Jitendra Bissessur, et potentiellement l’utilisation d’un rapport d’évaluation antidaté pour justifier le prix final. Harvesh Seegolam et Renganaden Padayachy, qui ont nié les accusations lors de leurs premières comparutions, ont été inculpés (Seegolam pour fraude, notamment) et libérés sous caution.
La MIC : Un Fonds Post-Covid Sous Enquête Approfondie
Créée en juin 2020 par la Banque de Maurice, alors dirigée par Harvesh Seegolam et sous la tutelle ministérielle de Renganaden Padayachy, la Mauritius Investment Corporation Ltd avait pour mandat officiel de soutenir les entreprises d’importance systémique mises en difficulté par la crise sanitaire. Dotée initialement d’un capital conséquent issu des réserves de la Banque Centrale (des chiffres allant jusqu’à 2 milliards USD ont été évoqués), la MIC se présentait comme un outil stratégique pour préserver l’économie nationale. Sa gouvernance, décrite comme étant aux normes internationales sur son site officiel, est aujourd’hui au centre de toutes les attentions, l’enquête cherchant à déterminer comment des décisions potentiellement préjudiciables aux finances publiques ont pu être prises.
Lutte Anti-Corruption ou Règlement de Comptes Politique ?
Ces arrestations surviennent dans un climat politique post-électoral particulièrement chargé. Le Premier ministre Navin Ramgoolam, revenu au pouvoir après les élections législatives de novembre 2024 qui ont vu la défaite de l’alliance sortante dirigée par Pravind Jugnauth, avait fait de la lutte contre la corruption et de la « restauration de l’intégrité institutionnelle » des axes majeurs de sa campagne.
Dès son installation, il a ordonné des audits des finances publiques et accusé publiquement l’ancien gouvernement d’avoir « manipulé » les indicateurs économiques clés (PIB, déficit budgétaire, dette publique) pour masquer une mauvaise gestion. Dans ce contexte, l’action de la FCC contre des figures emblématiques de l’ancien régime peut être interprétée comme la concrétisation de ces promesses.
Cependant, elle soulève inévitablement des interrogations sur une possible instrumentalisation politique de la justice, d’autant que l’ancien Premier ministre Pravind Jugnauth a lui-même été arrêté en février 2025 dans une autre affaire et nie les récentes allégations de Seegolam concernant une supposée interférence de Padayachy qu’il aurait couverte.
Onde de Choc sur la Place Financière et au-delà
L’affaire MIC et les arrestations qui en découlent jettent une ombre sur la réputation de la place financière mauricienne, souvent vantée pour sa stabilité et sa bonne gouvernance relative dans la région (le pays obtenait un score de 51/100 à l’Indice de Perception de la Corruption 2024 de Transparency International, un niveau moyen mais supérieur à beaucoup de voisins). La mise en cause de l’ancien gouverneur de la Banque Centrale, garant de la stabilité monétaire et financière, et de l’ancien grand argentier de l’État soulève des questions sur l’indépendance et l’intégrité de ces institutions clés.
Les opérateurs économiques et les investisseurs étrangers observent avec attention l’évolution de ce dossier, dont l’issue pourrait influencer la perception du risque et le climat des affaires.
Intégrité Institutionnelle : Le Test Crucial pour Maurice
Au-delà des batailles politiques et des responsabilités individuelles qui seront déterminées par la justice, cette affaire constitue un test majeur pour la solidité des institutions mauriciennes. La capacité de la Financial Crimes Commission à mener une enquête impartiale, rigoureuse et transparente, à l’abri des pressions politiques, sera déterminante. Pour Maurice, qui aspire à consolider son statut de centre financier international et de porte d’entrée pour les investissements en Afrique, démontrer un engagement sans faille envers la bonne gouvernance, la primauté du droit et la lutte contre la corruption, quel que soit le rang des personnes impliquées, est absolument essentiel. La manière dont cette crise sera gérée aura des conséquences durables sur la confiance des citoyens, des investisseurs et des partenaires internationaux.