Dans les lagons translucides de Zanzibar, un miracle silencieux se produit chaque matin : celui de femmes qui, après avoir tout perdu face au changement climatique, se relèvent en transformant un simple organisme marin en source de revenu, de résilience — et de dignité retrouvée.
Une économie Submergée, des Femmes qui Refusent de Couler
À Jambiani, village de pêcheurs bordant les eaux turquoise de Zanzibar, la marée a changé — et pas seulement au sens littéral. Pendant des décennies, les femmes vivaient principalement de la culture d’algues, une activité modeste mais stable. Jusqu’à ce que la hausse des températures océaniques, la surpêche et la pollution ne ravagent les fonds marins.
« Les températures élevées ont décimé les algues, et la baisse des stocks de poissons a poussé de nombreux pêcheurs à abandonner leur métier », résume Ali Mahmudi, chef de projet pour l’ONG suisse Marine Cultures.
Face à l’effondrement d’un pan essentiel de leur économie, les femmes de Jambiani se sont retrouvées au pied du mur. Mais l’océan, parfois destructeur, peut aussi offrir une seconde chance. Cette fois, sous la forme d’un organisme inattendu : l’éponge de mer.
Un élevage Durable qui Devient une Bouée de Sauvetage
Aux premières lueurs du jour, une ligne sombre perce la surface de l’eau : de simples bâtons, auxquels sont suspendues des rangées d’éponges en pleine croissance. C’est le visage d’une micro-révolution.
« J’ai été stupéfaite d’apprendre que des éponges existent dans l’océan », s’amuse Nasiri Hassan Haji, 53 ans, l’une des pionnières de cette activité. Pendant des années, elle avait peiné à cultiver des algues, un travail difficile, physique et de moins en moins rentable.
Tout a changé en 2009, lorsque Marine Cultures lance une ferme pilote avec des veuves du village. L’idée est simple mais audacieuse : tester la viabilité commerciale des éponges naturelles dans un archipel où 1 habitant sur 4 vit sous le seuil de pauvreté.
Le pari est payant. Avec la montée de la demande mondiale en produits écologiques, les éponges naturelles connaissent une croissance constante. L’industrie pesait déjà 20 millions de dollars en 2020, selon la NOAA.
À Zanzibar, une éponge peut se vendre jusqu’à 30 dollars, et une ferme peut en produire jusqu’à 1.500.
« Cela a changé ma vie. J’ai pu construire ma propre maison », se réjouit Shemsa Abbasi Suleiman, 53 ans, un sourire lumineux accroché au visage.
Un métier Nouveau, un courage Indéniable
Pour beaucoup, se lancer relevait d’un véritable acte de foi.
« Au début, j’avais peur, je ne savais pas nager… On me disait que j’allais me noyer », raconte Mme Haji.
Grâce à un programme associatif, elle apprend à nager… à 39 ans. Aujourd’hui, elle forme de nouvelles recrues et milite pour que davantage de femmes rejoignent l’aventure.
En quelques années, les fermes d’éponges sont devenues une coopérative dynamique, un espace de solidarité féminine où l’on partage savoir-faire, outils, stratégies de vente — et surtout une vision : bâtir une économie plus résiliente que celle qui les a laissées tomber.
Des bénéfices Qui vont bien Au-delà des Revenus
Les éponges ne sont pas seulement un produit rentable. Elles sont aussi une bénédiction écologique :
- Leur structure capture le carbone,
- Leur corps poreux filtre et purifie naturellement la mer,
- Elles renforcent la santé des récifs coralliens,
- Elles favorisent la biodiversité.
Autant de services écosystémiques essentiels dans un contexte où 60% des écosystèmes marins mondiaux sont dégradés, selon l’ONU.
« Ce qui m’a séduite, c’est que nous ne détruisons pas l’environnement », confie Mme Haji.
Dans un monde où l’océan suffoque, ces femmes deviennent paradoxalement des gardiennes du vivant.
Dans un Contexte social Tendu, une Lumière qui Persiste
Si la Tanzanie traverse une période politique difficile, marquée par des violences post-électorales dénoncées par l’ONU, les femmes de Zanzibar continuent d’avancer. Leur projet n’est pas seulement économique : il est social, solidaire et profondément transformateur.
L’éponge de mer n’est pas qu’un organisme marin.
À Zanzibar, elle est devenue un symbole de résistance, un moyen de survie, mais aussi une clé d’émancipation pour des femmes qui réinventent leur rapport à l’océan… et à leur avenir.
