Vingt ans après avoir pansé les plaies d’un génocide dévastateur, le Rwanda s’est imposé sur la scène continentale comme un modèle de transformation économique et de stabilité. Affichant régulièrement des taux de croissance parmi les plus élevés d’Afrique, ce petit pays enclavé d’Afrique de l’Est suscite à la fois admiration et interrogations. Quels sont les moteurs de ce dynamisme et ce modèle est-il réellement durable et réplicable ?
Une Trajectoire de Croissance Remarquable
Sur la période 2018-2024, malgré le choc de la pandémie de COVID-19, l’économie rwandaise a démontré une résilience notable et une capacité à maintenir une trajectoire de croissance élevée, souvent supérieure à la moyenne de l’Afrique subsaharienne. La Banque Mondiale notait par exemple une croissance du PIB réel de plus de 8,5% en 2024, surpassant les 8,2% de 2023, avec des projections maintenant un rythme soutenu autour de 7% pour 2025-2027. La Banque Africaine de Développement (BAD), dans ses perspectives 2025, classe régulièrement le Rwanda parmi les économies africaines les plus performantes, anticipant une croissance supérieure à 6,5% en 2025. Cette performance est d’autant plus notable qu’elle s’accompagne d’efforts visibles en matière de diversification économique et d’amélioration de l’environnement des affaires.
Les Piliers de la Transformation : Vision, Gouvernance et Investissements Ciblés
Plusieurs facteurs expliquent cette « success story » rwandaise, souvent attribuée à une vision politique claire et à une mise en œuvre rigoureuse :
- Vision Stratégique à Long Terme : Le Rwanda s’est doté de plans de développement ambitieux (comme la « Vision 2050 » visant à faire du pays une nation à revenu intermédiaire supérieur, puis élevé) qui guident les politiques publiques et les investissements. La deuxième Stratégie Nationale de Transformation (NST-2) met l’accent sur le développement du capital humain, l’industrialisation et l’amélioration de la gouvernance.
- Amélioration du Climat des Affaires : Le pays a mené des réformes drastiques pour faciliter la création d’entreprises, protéger les investisseurs et lutter contre la corruption. Le Rwanda figure ainsi régulièrement parmi les meilleurs élèves africains dans les classements internationaux sur la facilité de faire des affaires (avant l’arrêt du rapport « Doing Business », il était classé 38ème mondial et 2ème en Afrique en 2020). Cette attractivité a permis d’attirer des Investissements Directs Étrangers (IDE) dans des secteurs clés.
- Investissements Massifs dans les Infrastructures et le Capital Humain : Des efforts considérables ont été consentis pour moderniser les infrastructures (routes, énergie, aéroport international de Kigali, Kigali Innovation City) et améliorer l’accès à l’éducation et à la santé.
- Secteurs Moteurs : La croissance est tirée par le dynamisme du secteur des services (tourisme, services financiers, TIC – le Rwanda ambitionne de devenir un hub technologique régional), une agriculture en modernisation, et une industrie manufacturière naissante. Le tourisme, notamment axé sur la nature (gorilles) et les conférences (grâce au Kigali Convention Centre), est une source importante de devises.
- Gouvernance et Stabilité : Une gouvernance forte et centralisée, sous la houlette du président Paul Kagame, est souvent citée comme un facteur de stabilité et d’efficacité dans la mise en œuvre des politiques, bien que cet aspect soit aussi source de débats sur le plan des libertés politiques.
Au-delà des Chiffres : L’Impact sur le Développement Humain et SocialCette croissance économique s’est accompagnée de progrès notables en matière de développement humain. Le Rwanda a réalisé des avancées significatives dans la réduction de la pauvreté (même si elle reste élevée), l’amélioration de l’accès à l’éducation primaire et aux soins de santé, et la promotion de l’égalité des genres (le Rwanda ayant l’un des parlements les plus féminisés au monde). L’accent mis sur l’inclusion et le développement du capital humain est un élément clé de la stratégie nationale. Cependant, des défis importants subsistent en termes d’inégalités (notamment entre zones urbaines et rurales) et de création d’emplois de qualité pour une population jeune et en forte croissance.
Ombres au Tableau : Les Défis et Vulnérabilités du Modèle Rwandais
Malgré ses succès indéniables, le modèle rwandais n’est pas exempt de vulnérabilités et de critiques :
- Dépendance à l’Aide Extérieure et Endettement : Une part significative des investissements publics et du budget de l’État reste dépendante de l’aide internationale et des prêts concessionnels, ce qui peut engendrer un risque d’endettement à terme si la croissance ne génère pas suffisamment de recettes propres.
- Étroitesse du Marché Intérieur : Le Rwanda est un petit pays enclavé avec un marché domestique limité, ce qui rend son économie dépendante de l’intégration régionale et de l’accès aux marchés extérieurs.
- Questions de Gouvernance Politique : Si la stabilité est un atout, les critiques concernant l’espace démocratique et les libertés publiques peuvent, à terme, affecter la perception internationale et la durabilité du modèle.
- Défis Sociaux Persistants : Malgré les progrès, la pauvreté rurale, le sous-emploi des jeunes et la nécessité de renforcer la qualité et la pertinence du système éducatif pour répondre aux besoins d’une économie en transformation restent des enjeux majeurs.
- Vulnérabilité aux Chocs : Comme toute économie en développement, le Rwanda reste sensible aux chocs externes (prix des matières premières, ralentissement économique mondial, chocs climatiques).
Des Leçons pour la Région ? Vers des Modèles de Croissance Endogènes et Durables
La trajectoire du Rwanda offre des enseignements stimulants pour Madagascar, les îles de l’Océan Indien et les pays d’Afrique de l’Est. Elle démontre qu’une vision stratégique claire, une gouvernance axée sur les résultats, des réformes audacieuses du climat des affaires et des investissements ciblés dans le capital humain et les infrastructures peuvent générer une dynamique de transformation économique rapide, même dans un contexte post-conflit ou avec des ressources naturelles limitées.Cependant, chaque pays doit tracer sa propre voie. Les leçons du Rwanda résident peut-être moins dans la transposition d’un modèle que dans l’inspiration tirée de sa volonté politique, de sa discipline dans la mise en œuvre et de sa capacité à se projeter sur le long terme. Pour la région, l’enjeu est de bâtir des modèles de croissance qui soient non seulement rapides, mais aussi et surtout inclusifs, créateurs d’emplois décents, respectueux de l’environnement et capables de renforcer la résilience face aux défis d’un monde en mutation. La clé réside dans la capacité à mobiliser les ressources internes, à attirer les bons investissements et à s’assurer que les fruits de la croissance bénéficient à l’ensemble de la population.