L’African Growth and Opportunity Act (AGOA), pilier de la relation commerciale entre les États-Unis et l’Afrique depuis 25 ans, arrive à échéance en septembre 2025. Alors que les débats sur son renouvellement s’intensifient à Washington, une analyse de Gracelin Baskaran du Center for Strategic and International Studies (CSIS) met en lumière des enjeux qui dépassent de loin les simples tarifs douaniers. Loin d’être un vestige du passé, l’AGOA s’est transformé en un instrument de « soft power » indispensable pour la diplomatie américaine, notamment dans l’arène de plus en plus compétitive de la sécurisation des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques. Laisser expirer cet accord serait, selon l’analyse, une erreur stratégique majeure qui laisserait le champ libre à la Chine.
Le Paradoxe de l’AGOA : Un Levier Indirect mais Puissant
À première vue, le lien entre l’AGOA et les minerais n’est pas évident. Comme le note l’étude du CSIS, la plupart des minerais bruts entrent déjà sur le marché américain avec des droits de douane très faibles ou nuls. La valeur de l’AGOA pour le secteur minier n’est donc pas directement tarifaire. Sa force réside ailleurs : dans sa capacité à construire et maintenir une relation économique et politique stable et positive avec des pays africains qui sont, par ailleurs, des géants géologiques. Le continent abrite en effet des réserves colossales de minerais jugés « critiques » par le U.S. Geological Survey pour la transition énergétique et la défense : les pays bénéficiaires de l’AGOA détiennent 89% des réserves mondiales de platine, 70% du manganèse, 54% du cobalt et 23% du graphite. L’enjeu pour Washington n’est pas d’obtenir une réduction de tarif sur ces minerais, mais de garantir un environnement politique et commercial favorable à long terme pour les investissements de ses entreprises, comme ceux de la U.S. International Development Finance Corporation (DFC) en Angola, au Mozambique ou en Zambie.
La Diplomatie des Minerais : Un Écosystème Fragile
L’analyse du CSIS met en évidence un point crucial : l’industrie minière, bien que lucrative, est très peu créatrice d’emplois. Or, l’Afrique a un besoin urgent de créer des millions d’emplois pour sa population jeune. C’est ici que l’AGOA joue son rôle stratégique. En offrant un accès sans droits de douane au marché américain, il soutient des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre comme le textile ou l’agriculture. L’étude prend deux exemples concrets :
- La Namibie : Ce pays, doté d’immenses réserves d’uranium, de terres rares et de lithium où la Chine est déjà très présente, est devenu en 2019 le premier pays africain à exporter du bœuf aux États-Unis grâce à l’AGOA. Frapper cette industrie naissante en laissant l’accord expirer enverrait un signal désastreux et pourrait « saper la future diplomatie minière américaine » en poussant N’Djamena encore plus près de Pékin.
- La Zambie : Partenaire clé pour le cuivre, la population y est de plus en plus frustrée par le manque de retombées économiques du secteur minier. L’AGOA, en soutenant la diversification dans d’autres industries, « atténue la pression sur le secteur minier » et stabilise l’environnement pour les firmes américaines.
La Compétition avec la Chine comme Toile de Fond
L’urgence de renouveler l’AGOA est exacerbée par l’offensive commerciale chinoise. En juin 2025, Pékin a annoncé la suppression des droits de douane sur les importations de 53 pays africains. Comme le souligne Gracelin Baskaran, si les États-Unis laissaient expirer leur propre programme préférentiel au même moment, le signal serait « dommageable ». Face à des opportunités comparables, les gouvernements africains se tourneraient logiquement vers la Chine, qui domine déjà le commerce, les infrastructures et le secteur minier du continent, et qui, contrairement aux USA, maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur, notamment le raffinage et la transformation des minerais critiques.
Vers un « AGOA 2.0 » Stratégique ?
Loin d’être incompatible avec l’approche de l’administration Trump, axée sur la diplomatie commerciale et le « trade, not aid » (le commerce, pas l’aide), le renouvellement de l’AGOA est présenté comme une nécessité. L’analyse suggère même une évolution vers un « AGOA 2.0 » plus « bilatéralement bénéfique ». L’idée serait de lier les préférences commerciales à des incitations à l’investissement dans le secteur minier, sur le modèle des crédits d’impôt de l’Inflation Reduction Act (IRA) pour les véhicules électriques, qui favorisaient les batteries dont les minerais provenaient des États-Unis ou de pays partenaires. Un tel mécanisme pourrait orienter les flux de capitaux vers des projets miniers en Afrique, tout en garantissant que la production soit dirigée vers les chaînes d’approvisionnement américaines et alliées. En attendant une telle réforme, la simple reconduction de l’accord est jugée essentielle pour affirmer la continuité et la force de l’engagement économique américain en Afrique, à un moment où la compétition pour les ressources du futur atteint son paroxysme.
