C’est un non-sens économique qui coûte chaque année des milliards de dollars à l’Afrique. Lorsqu’une entreprise d’Abidjan veut payer un fournisseur à Dar es Salaam, son virement en francs CFA ne part pas directement vers la Tanzanie. Il voyage d’abord vers une banque correspondante à New York ou à Paris, y est converti en dollars américains ou en euros, puis est envoyé vers une autre banque correspondante avant d’être finalement reconverti en shillings tanzaniens. Ce détour, hérité d’une architecture financière mondiale conçue sans l’Afrique, est lent, coûteux et absurde. Mais une révolution silencieuse est en marche pour y mettre fin. Son nom : PAPSS, le Système de Paiement et de Règlement Panafricain.
Anatomie d’un Non-Sens à 5 Milliards de Dollars
Le problème est structurel. Faute d’un système de compensation directe entre les monnaies africaines, la quasi-totalité des 42 devises du continent dépendent d’intermédiaires hors du continent. Le rapport « Cross-Border Payments in Sub-Saharan Africa » de la Banque Mondiale est formel : les coûts de transaction intra-africains sont parmi les plus élevés au monde. Afreximbank, la Banque Africaine d’Import-Export et promoteur du PAPSS, estime la perte sèche à plus de 5 milliards de dollars par an en frais de transaction et de change. Ce n’est pas qu’une question de coût : ces délais de plusieurs jours sont un frein majeur au commerce et à l’investissement.
PAPSS : La Révolution du « Paiement Net »
Lancé officiellement en 2022, le PAPSS est conçu pour être une solution radicale à ce problème. Son fonctionnement, bien que techniquement complexe, repose sur un principe simple : permettre aux entreprises de payer dans leur monnaie locale et aux vendeurs de recevoir des paiements dans leur propre monnaie locale, sans que les fonds ne quittent le continent. Concrètement, le PAPSS agit comme une chambre de compensation centrale. Chaque banque centrale participante tient un compte auprès d’Afreximbank. Tout au long de la journée, des milliers de transactions sont échangées et enregistrées. À la fin de la journée (ou à intervalles réguliers), le système calcule la position nette de chaque pays. Seul ce solde net est réglé en devises fortes, généralement en dollars. Cette méthode de « règlement net » réduit drastiquement le besoin de liquidités en devises et rend les transactions quasi-instantanées.
C’est la première fois dans l’histoire de l’Afrique que l’on peut payer pour des biens et services échangés entre pays africains en utilisant des monnaies locales.
Mike Ogbalu III, PDG de PAPSS
Le Bras Armé Indispensable de la ZLECAf
Le PAPSS n’est pas qu’une innovation financière. C’est l’outil qui doit rendre possible la plus grande ambition du continent : la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Comme le souligne l’Union Africaine dans son Agenda 2063, créer le plus grand marché unique au monde est inutile si les commerçants ne peuvent pas se payer facilement et à moindre coût. Le PAPSS est la « plomberie » financière de la ZLECAf, le système circulatoire qui doit permettre au commerce intra-africain, aujourd’hui anémique (environ 17% du commerce total du continent), de prospérer enfin.
La Lente et Complexe Bataille de l’Adoption
Si la vision est révolutionnaire, sa mise en œuvre est un marathon. Le principal défi est de convaincre et d’intégrer les 42 banques centrales du continent, chacune avec ses propres régulations, ses propres systèmes technologiques et ses propres craintes quant à la volatilité des changes. Fin 2025, seule une poignée de banques centrales a finalisé son intégration. La route est encore longue pour atteindre une masse critique. À cela s’ajoutent des défis de taille : la nécessité d’une cybersécurité de classe mondiale, la gestion des fluctuations des devises et la résistance des acteurs qui bénéficient du système actuel.
Le PAPSS est donc bien plus qu’un projet technique. C’est un test politique majeur pour le continent. Sa réussite démontrerait la capacité des institutions panafricaines à mener à bien des projets transformateurs et à bâtir une véritable souveraineté économique et monétaire. C’est une bataille silencieuse, loin des grands titres, mais dont l’issue déterminera la trajectoire de l’intégration africaine pour les décennies à venir.
