20 ans après sa dernière refonte majeure, Madagascar réforme en profondeur son décret MECIE sur l’impact environnemental des investissements. Objectif affiché : concilier développement et protection via une classification et une évaluation renforcées intégrant désormais le social. Une mise à jour cruciale.
Pourquoi une Révision Attendue Depuis si Longtemps ?
Le décret fondateur sur la Mise en Compatibilité des Investissements avec l’Environnement (MECIE), datant vraisemblablement de fin 1999 (Décret 99-954), commençait à montrer ses limites face aux enjeux contemporains. L’urgence climatique, l’érosion accélérée de la biodiversité unique de la Grande Île, et la pression croissante sur les ressources naturelles exigeaient un cadre réglementaire actualisé et plus robuste. Comme l’a souligné Max Andonirina Fontaine, Ministre de l’Environnement et du Développement Durable, lors de la présentation officielle de la réforme début 2025, il s’agit désormais de « concilier le respect de l’environnement avec le financement des projets », en alignant la législation nationale avec les standards internationaux et les conventions environnementales. Cette révision, la cinquième depuis l’origine, intervient après un processus de consultation lancé en juin 2024 et aboutissant à une adoption en Conseil du Gouvernement en janvier 2025.
Le Nouveau Tri Sélectif des Projets d’Investissement
Une des innovations majeures de ce décret révisé est l’instauration d’une classification plus fine des projets d’investissement, publics ou privés, selon leur impact potentiel sur l’environnement et, désormais, sur la société. Trois catégories sont définies :
L’Humain (Enfin) au Cœur de l’Évaluation d’Impact
C’est peut-être le changement le plus significatif : le nouveau décret MECIE intègre explicitement la dimension sociale dans le processus d’évaluation, là où le précédent se concentrait quasi exclusivement sur l’environnement physique et biologique. Désormais, les études devront analyser en profondeur les impacts sur les droits des populations locales (y compris l’accès aux ressources naturelles comme l’eau ou la terre), les risques de déplacements physiques ou économiques, les questions de santé publique, ou encore le respect du patrimoine culturel. « L’homme fait partie de la nature, il ne peut être exclu des évaluations », a insisté le Ministre Fontaine. Cette évolution vers une véritable EIES (Évaluation d’Impact Environnemental et Social) est cruciale pour prévenir les conflits, assurer une meilleure acceptabilité sociale des projets et garantir un partage plus équitable des bénéfices du développement.
Anticiper les Risques : L’Arrivée de l’Évaluation Stratégique (EESS)
Autre outil novateur introduit par la réforme : l’Évaluation Environnementale et Sociale Stratégique (EESS). Contrairement à l’EIES qui s’applique à un projet spécifique, l’EESS intervient beaucoup plus en amont, au niveau de l’élaboration des politiques, plans ou programmes sectoriels (par exemple, un plan de développement minier ou agricole pour une région). Son but est d’évaluer les impacts cumulatifs potentiels et les risques environnementaux et sociaux avant même que des projets individuels ne soient proposés, permettant ainsi d’orienter les choix stratégiques vers des options plus durables et d’éviter des erreurs coûteuses. C’est un pas vers une gouvernance environnementale plus proactive et préventive.
Un Cadre Co-construit, Pour Quelle Application ?
Le gouvernement souligne que cette révision est le fruit d’une large concertation impliquant ministères, secteur privé, société civile et représentants des communautés locales entre juin et octobre 2024. Cette démarche participative vise, en théorie, à assurer une meilleure appropriation du nouveau cadre par toutes les parties prenantes et à faciliter son application. Le décret révisé est également présenté comme un outil renforçant la capacité de l’État à détecter et stopper les projets menés illégalement, souvent sources de dégradations environnementales importantes. Cependant, le défi majeur résidera dans la capacité effective des différentes instances (ONE, ministères sectoriels, autorités locales) à instruire les dossiers selon les nouvelles exigences, à assurer un suivi rigoureux des Plans de Gestion Environnementale et Sociale (PGES) et à appliquer les sanctions prévues en cas de manquement.
Gouvernance Environnementale des Investissements : Le Test de la Mise en Œuvre
Sur le papier, la révision du décret MECIE marque une avancée significative pour Madagascar. Elle dote le pays d’un cadre réglementaire modernisé, plus aligné sur les standards internationaux et intégrant mieux les dimensions sociales et stratégiques de la durabilité. C’est un signal potentiellement positif envoyé aux investisseurs responsables et aux partenaires techniques et financiers.Néanmoins, l’histoire économique de Madagascar, riche en textes ambitieux mais parfois faiblement appliqués, incite à la prudence. Le véritable test de cette réforme résidera dans sa mise en œuvre effective. Cela exigera une volonté politique constante, des moyens humains et financiers adéquats pour les entités de contrôle (notamment l’ONE), une transparence totale dans les processus d’évaluation et d’octroi des permis, et une capacité réelle à faire respecter les engagements environnementaux et sociaux par tous les porteurs de projets, quelle que soit leur taille ou leur influence. Le nouveau décret MECIE fournit une boîte à outils plus complète ; il appartient désormais à l’ensemble des acteurs malgaches de s’en saisir pour orienter les investissements vers une trajectoire réellement compatible avec la préservation de son capital naturel et humain unique.