En visite d’État à Madagascar fin avril 2025, Emmanuel Macron a écarté toute restitution des Îles Éparses, prônant une « cogestion en bonne intelligence » via la Commission mixte. Une clarification très attendue qui relance le débat sur la souveraineté et la stratégie française.
La Commission Mixte Réactivée, le Dialogue de la « Cogestion »
Interrogé directement par la presse à Antananarivo sur ce différend historique, le président français a confirmé la relance du processus de dialogue bilatéral. « Nous avons décidé […] d’avoir cette commission mixte, ce qui était inédit », a-t-il rappelé, annonçant une prochaine réunion le 30 juin à Paris. Cette instance, établie en 2019 mais restée en sommeil, est présentée par Paris comme « la bonne solution » pour « gérer ensemble » ces territoires. La sémantique est choisie : il s’agit de « se concerter pour prendre les grandes décisions », notamment pour « protéger notre espace naturel » et lutter contre la pêche illégale. L’accent est mis sur une gestion partagée des enjeux environnementaux et sécuritaires, une forme de cogestion pragmatique, plutôt que sur le transfert de souveraineté.
« Débats Picrocholins » ? La Souveraineté Minimisée par Paris
Face à la revendication malgache, réaffirmée par sa diplomatie malgré la visite présidentielle, Emmanuel Macron adopte une posture qui minimise la centralité de la question de souveraineté. Qualifiant ces discussions de « débats picrocholins » (querelles futiles), il les met en balance avec les défis jugés plus urgents pour la Grande Île : « Aider un pays qui a 80 % de sa population sous le seuil de pauvreté à réussir, c’est beaucoup plus important ». La France se positionne ainsi comme le partenaire stratégique du développement malgache (sécurité alimentaire, réussite économique, sortie de la pauvreté), suggérant que la focalisation sur les Îles Éparses serait une diversion par rapport aux « vrais défis ». Quant aux résolutions de l’ONU invitant la France à négocier la restitution, le président français les balaie d’un « il y a des résolutions qui disent les deux choses », une interprétation qui ne reflète pas la constance des textes onusiens sur ce point depuis 1979.
Au-delà des Mots, la Permanence des Intérêts Stratégiques Français
Cette position diplomatique, habilement formulée, s’ancre cependant dans une réalité géostratégique inchangée pour la France. La proposition de « cogestion » permet à Paris de maintenir le contrôle de facto sur ces territoires et, surtout, sur l’immense Zone Économique Exclusive (ZEE) qu’ils génèrent dans une zone maritime cruciale. Comme analysé précédemment, l’importance des Îles Éparses pour la France réside moins dans des ressources hypothétiques que dans leur fonction de points d’appui pour :
- La surveillance maritime (trafics, pêche INN) dans le Canal du Mozambique, route majeure du commerce mondial.
- La projection de puissance et la collecte d’informations pour les Forces Armées dans la Zone Sud de l’Océan Indien (FAZSOI) dans le cadre de la stratégie Indo-Pacifique.
- La recherche scientifique sur la biodiversité marine exceptionnelle et le changement climatique. La « cogestion » proposée sur les aspects environnementaux ou de pêche permet de répondre aux critiques tout en préservant ces avantages stratégiques fondamentaux liés à la présence souveraine.
La Réponse Malgache et les Limites du Dialogue
Si le président Rajoelina a acté avec son homologue français la reprise des travaux de la Commission mixte, la diplomatie malgache a rapidement réaffirmé que la revendication de souveraineté restait « inchangée » et « inaliénable ». L’opposition et une partie de la société civile malgache voient dans la position française une fin de non-recevoir déguisée et appellent à une plus grande fermeté. Le dialogue au sein de la Commission mixte, bien que positif en soi, risque donc de se heurter rapidement à cette divergence fondamentale si la question de la souveraineté est exclue d’emblée des discussions de fond par la partie française, comme le laissent entendre les propos présidentiels.
Un Statu Quo Stratégique Habillé de Coopération
En définitive, les déclarations d’Emmanuel Macron à Antananarivo clarifient la doctrine française actuelle sur les Îles Éparses : pas de restitution de souveraineté, jugée comme un débat secondaire voire dépassé (« picrocholin »), mais une offre de coopération renforcée sur des enjeux concrets (environnement, pêche) via la Commission mixte bilatérale. C’est une stratégie visant à maintenir les acquis stratégiques français dans l’Océan Indien tout en apaisant les tensions diplomatiques avec un partenaire clé, Madagascar, dont la France souligne par ailleurs l’importance du développement économique et social qu’elle entend soutenir. L’avenir dira si cette approche de « gestion en bonne intelligence » suffira à dépasser un différend historique profondément ancré dans les mémoires et dans la géopolitique complexe de la région. Le rendez-vous de Paris le 30 juin sera une première indication.