Dans un discours au ton offensif prononcé lors du dernier sommet des BRICS, le président russe Vladimir Poutine a exposé sans détour sa vision : celle d’un ordre mondial où l’hégémonie occidentale n’est plus, et où l’alliance des puissances émergentes devient un pôle central de décision. Plus qu’une simple déclaration, c’est une feuille de route pour la construction active d’un système alternatif.
« Le Système Unipolaire Appartient au Passé »
Le message central de Vladimir Poutine est une déclaration de décès : celui du « système unipolaire des relations internationales » et du « modèle libéral de mondialisation », jugé « dépassé ». Pour le chef du Kremlin, l’ère de la domination sans partage des États-Unis et de leurs alliés est révolue. Il appelle à l’avènement d’un « monde multipolaire », où les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, et leurs nouveaux partenaires) ne sont plus de simples acteurs régionaux, mais une « autorité mondiale » qui défend les « intérêts de la majorité mondiale ». Forts de plus de la moitié de la population du globe et d’un PIB combiné de 77 000 milliards de dollars, les BRICS ont, selon lui, les moyens de leurs ambitions.
L’Arme Économique : Objectif Dédollarisation
Pour concrétiser cette vision, la stratégie russe s’articule autour d’une offensive économique visant à contourner les institutions financières dominées par l’Occident. La proposition clé est d’élargir massivement l’utilisation des devises nationales pour les paiements entre les pays membres. Poutine a affirmé qu’en 2024, plus de 90% des règlements commerciaux de la Russie avec les autres pays des BRICS se sont déjà faits en monnaies locales. Cette stratégie de « dédollarisation » vise à réduire la vulnérabilité aux sanctions américaines et à affaiblir le rôle du dollar comme monnaie de réserve mondiale, un des piliers de la puissance américaine. Dans cette optique, la Russie propose également la création d’une nouvelle plateforme pour stimuler les investissements en capital au sein du « Sud Global » et de mécanismes de consultation propres aux BRICS sur les questions relatives à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), suggérant une volonté de réformer ou de contourner les règles commerciales existantes.
Du « Soft Power » à la Stratégie d’Influence
Au-delà de l’économie, le discours de Poutine révèle une volonté de construire un contre-modèle culturel et politique. Il présente les BRICS comme une alliance basée sur le « respect mutuel et la diversité des civilisations, religions et cultures », en opposition implicite à ce qui est souvent perçu comme un universalisme occidental imposé. Cette stratégie d’influence se matérialise par des initiatives concrètes. La création d’une « bourse des céréales » des BRICS vise à contester le pouvoir des grandes places de marché occidentales sur les matières premières agricoles. Plus symboliquement, l’annonce d’un concours de chansons populaires, « Intervision », prévu à Moscou en septembre, est une tentative de créer une alternative à l’Eurovision, perçue comme un vecteur de valeurs libérales occidentales. L’objectif est de « promouvoir la culture et les valeurs traditionnelles » des pays membres.
Une Alliance de Circonstance ou un Bloc Cohérent ?
Le discours de Poutine dessine une ambition claire : faire des BRICS le fer de lance d’un front anti-hégémonique. Cependant, la question de la cohésion de cette alliance reste entière. Les BRICS sont un groupe hétérogène, avec des intérêts parfois divergents. L’Inde, par exemple, entretient des relations complexes avec la Chine et maintient un partenariat stratégique avec les États-Unis. Le Brésil et l’Afrique du Sud, démocraties établies, n’ont pas forcément la même vision que la Russie ou la Chine sur la gouvernance mondiale. La force du discours de Poutine est de capitaliser sur un ressentiment partagé par de nombreux pays du Sud face à ce qu’ils considèrent comme un ordre mondial inéquitable. Mais transformer ce ressentiment en un projet politique et économique unifié et durable reste le défi majeur pour la Russie et ses partenaires. Le monde multipolaire est sans doute en gestation, mais sa forme finale et le rôle qu’y joueront réellement les BRICS sont encore loin d’être écrits.