Le couperet est tombé ce 14 octobre : les négociations sur la restructuration de la dette souveraine de l’Éthiopie sont dans l’impasse. Pour le pays, en défaut de paiement sur son unique euro-obligation depuis fin 2023, c’est la prolongation d’une agonie financière qui le coupe des marchés internationaux. Mais pour le reste du monde, cet échec est bien plus qu’une simple actualité économique. C’est la démonstration éclatante de l’inefficacité du « Cadre Commun » du G20, l’architecture mise en place pour gérer les crises de la dette à l’ère de la montée en puissance de la Chine, et qui se révèle incapable de résoudre le puzzle.
Le Cadre Commun, un Labyrinthe sans Issue ?
Lancé en 2020, le Cadre Commun était une avancée théorique majeure. Son but : réunir autour d’une même table tous les créanciers d’un pays en difficulté – les créanciers publics traditionnels (Club de Paris), les nouveaux géants comme la Chine, et les créanciers privés (détenteurs d’obligations, banques commerciales) – pour s’accorder sur un effort partagé. Mais la pratique s’est révélée être un cauchemar bureaucratique. Les cas de la Zambie et du Ghana, qui ont mis des années à obtenir des accords, ont déjà souligné les lenteurs et la complexité du processus. Le cas éthiopien en est aujourd’hui la plus spectaculaire illustration.
La Pomme de Discorde : Comparabilité et Opacité Chinoise
Au cœur de l’impasse se trouve un principe clé du Cadre Commun : la « comparabilité de traitement ». En clair, les créanciers privés, représentés par un comité incluant des géants comme Morgan Stanley Investment Management et Franklin Templeton, ne veulent pas consentir à un effort (un « haircut », soit une réduction de la valeur de leur créance) si la Chine, le plus grand créancier bilatéral, obtient en coulisses des conditions plus favorables. Or, les termes des accords sino-éthiopiens sont opaques. Le comité des créanciers a déclaré être « déçu » par l’échec, soulignant qu’il ne pouvait négocier à l’aveugle sans connaître les conditions offertes aux créanciers officiels.

LÉGENDE : Le poids de la Chine dans la dette éthiopienne. Pékin et ses banques détiennent près d’un quart de la dette totale du pays, estimée à 31 milliards de dollars. Source : Reuters/Données officielles.
Une Bataille de Chiffres : Le FMI sous le Feu des Critiques
La méfiance des créanciers est exacerbée par une seconde pomme de discorde : les prévisions économiques du Fonds Monétaire International (FMI), qui servent de base de calcul à la restructuration. Les détenteurs d’obligations estiment que les projections du FMI sont excessivement pessimistes et ne tiennent pas compte de la performance réelle de l’économie éthiopienne. Ils pointent notamment le boom des exportations de café et d’or. Le gouvernement éthiopien a annoncé des revenus d’exportation records de 8,3 milliards de dollars pour l’année fiscale 2024/25, bien au-dessus des 6,37 milliards prévus par le FMI. Pour les créanciers, ces chiffres prouvent que la capacité de remboursement du pays est sous-évaluée, et qu’on leur demande un sacrifice trop important.
Le Cadre Commun manque de mordant pour obliger les créanciers privés à participer à l’annulation de la dette.
Tim Jones, Directeur des politiques, Debt Justice
Les Conséquences : Limbo Financier et Menaces Juridiques
Malgré des progrès – le comité avait accepté un « haircut » de 15% et un instrument de récupération de valeur –, l’échec des négociations plonge l’Éthiopie dans des limbes financiers. Le pays reste en défaut, incapable d’accéder aux financements internationaux pour ses projets de développement. Pire, le comité des créanciers a averti qu’il allait désormais « considérer toutes les options, y compris une action en justice ». Cette menace fait peser le risque d’une longue et coûteuse bataille juridique, similaire à celles qui ont opposé l’Argentine à ses « fonds vautours ».
En définitive, le cas éthiopien est un symptôme d’un système à bout de souffle, inadapté à un monde où la dette est détenue par une myriade d’acteurs aux intérêts divergents. Sans une réforme profonde qui impose plus de transparence, notamment de la part de la Chine, et des mécanismes plus rapides, le Cadre Commun risque de n’être qu’une machine à prolonger l’agonie des pays les plus endettés.
