Pendant longtemps, le travail a été perçu comme une finalité. Le diplôme, puis le CDI, puis la carrière. Une trajectoire linéaire et rassurante. Mais cette logique est de plus en plus remise en question par une génération pour qui l’emploi ne peut plus être synonyme d’aliénation, d’oubli de soi, ou de sacrifice silencieux. En Afrique comme ailleurs, une partie croissante des 25-35 ans ne veut plus seulement « gagner sa vie » : elle veut aussi la vivre.
Mais à quel prix ? Et dans quel contexte ?
Un basculement générationnel silencieux
Les jeunes actifs africains ont grandi dans une époque paradoxale. Ils ont été élevés par des parents qui leur ont enseigné que le travail était une voie de salut. Pourtant, ils évoluent aujourd’hui dans un monde saturé de burn-out, de reconversions professionnelles, de précarité déguisée en flexibilité.
Ils sont mieux formés, plus connectés, plus ambitieux… mais aussi plus lucides. Et cette lucidité les amène à se demander : si le travail occupe les deux tiers de ma vie, ne devrais-je pas m’assurer qu’il en vaille vraiment la peine ?
La quête de sens dépasse le salaire
Pour de nombreux jeunes diplômés, la rémunération n’est plus le seul critère. Ce qui compte aujourd’hui, c’est l’impact. Le respect de l’équilibre personnel. L’utilité sociale de son métier. La fierté de ce qu’on accomplit, même dans l’ombre.
Derrière les chiffres d’une Afrique qui entreprend, se réinvente, se digitalise, il y a cette volonté de ne plus subir. De créer son propre cadre. De fuir les hiérarchies figées, les horaires déshumanisants, les emplois vides de sens. D’où l’essor des freelances, des entrepreneurs informels, des indépendants du numérique, qui tentent de concilier autonomie et alignement personnel.
L’ombre du surmenage moderne
Mais cette quête de liberté a un revers. Car vouloir « travailler autrement », c’est aussi se heurter à l’instabilité, au stress financier, à la solitude professionnelle. Nombreux sont ceux qui, après avoir fui le bureau, se retrouvent enfermés dans un autre piège : l’auto-exploitation. Travailler jour et nuit pour ses propres rêves peut finir par ressembler à l’ancienne prison, mais sans congés payés.
L’illusion de la passion comme moteur unique peut devenir dangereuse si elle efface les limites essentielles : celles du repos, du droit à l’erreur, et surtout du droit au vide.
Pressions culturelles et devoirs invisibles
Dans plusieurs sociétés africaines, ne pas avoir de « vrai travail » reste mal vu. La réussite professionnelle est encore associée à un statut, une sécurité matérielle, voire une fierté familiale. Beaucoup de jeunes travaillent autant pour répondre aux attentes de leur entourage que pour eux-mêmes.
Refuser de se définir uniquement par son emploi devient alors un acte subversif. Dire « je veux du temps pour moi », c’est parfois défier des logiques collectives ancrées. C’est faire entendre que l’épanouissement ne se mesure pas qu’en productivité.
Vers une redéfinition du succès
Ce que les 25-35 ans sont en train de faire, consciemment ou non, c’est de redéfinir les contours du succès. Il ne s’agit plus seulement d’avoir un emploi stable, mais de savoir pourquoi on le fait. De ne pas sacrifier sa santé mentale sur l’autel de la performance. De pouvoir dire non, même à ce qui est « sûr ».
C’est un chemin complexe, semé de doutes, de tentations de revenir au modèle classique. Mais c’est aussi un mouvement profond, qui traverse les villes africaines, les espaces numériques, les conversations intimes. Et qui pourrait bien transformer le monde du travail plus radicalement qu’aucune réforme.
Travailler, oui. Mais pour quoi ?
Cette question n’est pas neuve. Mais elle revient avec une intensité nouvelle, portée par une génération qui n’attend plus la retraite pour commencer à vivre. Une génération qui refuse de courir sans savoir vers quoi. Une génération qui ne veut pas « réussir sa vie », mais réussir dans sa vie.
Et si le vrai travail, finalement, était de ne pas perdre de vue l’essentiel au milieu de tout ça ?