Chaque 1er Mai, l’Afrique, comme une grande partie du monde, célèbre la Journée Internationale des Travailleurs. Simple tradition héritée ou moment de réflexion et de mobilisation essentiel ? Alors que le monde du travail connaît des mutations profondes, retour sur l’histoire et les raisons impérieuses de commémorer cette date, ici et maintenant sur le continent.
Des Martyrs de Chicago aux Revendications Globales
L’origine du 1er Mai comme fête des travailleurs remonte aux luttes ouvrières de la fin du XIXe siècle aux États-Unis, et plus spécifiquement à la grève générale de 1886 pour l’obtention de la journée de 8 heures. La répression sanglante d’une manifestation à Haymarket Square (Chicago) le 4 mai 1886 est devenue un symbole. En 1889, la IIe Internationale socialiste décide de faire du 1er mai une journée annuelle de manifestation internationale pour cette revendication phare. Initialement journée de lutte et de grève, elle s’est progressivement institutionnalisée dans de nombreux pays comme un jour férié, reconnaissant officiellement la contribution des travailleurs à la société.
Le 1er Mai en Afrique, un Héritage Réapproprié et Combattif
Sur le continent africain, l’adoption du 1er Mai comme journée chômée et payée s’est souvent faite dans le sillage des indépendances. Pour les jeunes nations, commémorer cette date était une manière d’affirmer leur souveraineté, de reconnaître le rôle des travailleurs dans la lutte anti-coloniale et la construction nationale, et de s’inscrire dans une solidarité internationale. Les syndicats africains, souvent nés dans ce contexte de lutte pour l’émancipation, ont joué un rôle clé dans l’appropriation de cette journée. Aujourd’hui encore, le 1er Mai est marqué sur tout le continent par des défilés, des rassemblements syndicaux, des discours politiques et la présentation de cahiers de doléances – témoignant d’une tradition vivace, même si parfois ritualisée.
Pourquoi Commémorer Encore en 2025 ? Les Défis Brûlants du Travail Africain
Loin d’être une simple relique historique, la commémoration du 1er Mai conserve une pertinence aiguë face aux défis immenses du monde du travail en Afrique en 2025, y compris dans la région Océan Indien / Afrique de l’Est :
- La Précarité et l’Omniprésence du Secteur Informel : La réalité écrasante est que la grande majorité des travailleurs africains (souvent plus de 80%, voire 90% dans certains pays comme Madagascar) évolue dans le secteur informel. Ces millions d’hommes et de femmes, bien qu’essentiels à l’économie réelle, sont privés des droits fondamentaux du travail : absence de contrat formel, salaires bas et irréguliers, conditions de travail souvent difficiles, et surtout, manque criant de protection sociale (santé, retraite, chômage). L’Union Africaine elle-même reconnaît l’urgence de développer des cadres pour protéger ces travailleurs.
- Le Chômage et le Sous-Emploi Massif des Jeunes : Le continent fait face à un défi démographique majeur avec une population extrêmement jeune. Or, le chômage des jeunes (15-24 ans) reste élevé (autour de 11% en Afrique subsaharienne en 2024, mais cachant un sous-emploi massif) et le taux de jeunes « NEET » (ni en emploi, ni en études, ni en formation) dépasse les 20% dans la région. Le décalage entre les aspirations des jeunes et la réalité des emplois disponibles, souvent peu qualifiés ou précaires, est une bombe sociale.
- La Pression sur les Conditions de Travail et les Salaires : L’inflation récente, les crises économiques et les politiques d’austérité parfois liées aux programmes d’ajustement (comme ceux du FMI) mettent sous pression les salaires réels et les conditions de travail dans le secteur formel, tandis que l’informel reste synonyme de faible rémunération.
- Les Atteintes aux Libertés Syndicales : Si le droit de s’organiser et de négocier collectivement est reconnu dans la plupart des législations, sa mise en pratique reste difficile dans de nombreux pays. Les syndicats africains font face à des défis de représentativité (notamment dans l’informel et chez les jeunes/femmes), de fragmentation et parfois de répression, limitant leur capacité à peser dans le dialogue social.
- L’Impact des Nouvelles Formes d’Emploi : L’émergence de l’économie des plateformes (gig economy) crée de nouvelles opportunités mais aussi de nouvelles formes de précarité, avec des travailleurs souvent classés comme indépendants et privés des protections salariales classiques.
Revendiquer, Dialoguer, Construire : L’Actualité du 1er Mai Africain
Dans ce contexte, observer le 1er Mai en 2025 conserve plusieurs fonctions essentielles :
- Un Devoir de Mémoire : Se souvenir des luttes passées pour les droits des travailleurs (journée de 8 heures, congés payés, sécurité sociale…) rappelle que ces acquis sont le fruit de combats et ne doivent pas être considérés comme définitivement garantis.
- Une Plateforme de Revendications : C’est le moment privilégié pour les travailleurs et leurs syndicats d’exprimer leurs préoccupations actuelles et leurs demandes : salaires décents, amélioration des conditions de travail, renforcement de la protection sociale (notamment son extension à l’informel), respect de la liberté syndicale, lutte contre les discriminations, emplois de qualité pour les jeunes… Le thème choisi par la Confédération Syndicale Internationale – Afrique (CSI-Afrique) pour 2025 – « Industrialisation, Commerce et Travail Décent pour la Justice Sociale » – illustre bien ces enjeux.
- Un Appel au Dialogue Social : Le 1er Mai est une occasion de rappeler l’importance du dialogue social tripartite (gouvernements, employeurs, syndicats) pour construire des politiques économiques et sociales équilibrées, adapter les législations du travail aux nouvelles réalités et prévenir les conflits.
- Un Moment de Solidarité : Il permet de réaffirmer la solidarité entre tous les travailleurs, qu’ils soient du secteur formel ou informel, locaux ou migrants, hommes ou femmes, jeunes ou moins jeunes, face à des défis souvent communs.
Le 1er Mai, Boussole Pour un Avenir du Travail Équitable en Afrique
En conclusion, bien loin d’être une commémoration désuète ou un simple jour férié, le 1er Mai demeure, en 2025, une date d’une profonde pertinence pour le continent africain. Il incarne l’aspiration fondamentale à la justice sociale et à la dignité humaine dans le travail. Face aux immenses défis de l’emploi informel, du chômage des jeunes, de la précarité et des inégalités, cette journée est une piqûre de rappel essentielle : la croissance économique ne peut être une fin en soi si elle ne se traduit pas par un travail décent et des conditions de vie améliorées pour la majorité.Commémorer le 1er Mai en Afrique aujourd’hui, c’est réaffirmer l’urgence d’investir dans le capital humain, de renforcer la protection sociale, de promouvoir un dialogue social constructif et de garantir que les fruits du développement soient équitablement partagés. C’est une boussole indispensable pour guider les politiques publiques et les stratégies d’entreprise vers un avenir du travail qui soit non seulement productif, mais aussi et surtout juste, inclusif et durable.