Le Burkina Faso muscle sa position. En portant sa part gratuite dans les mines d’or à 15%, la junte du Capitaine Traoré veut reprendre la main sur sa richesse. Un acte de souveraineté nécessaire, mais un signal potentiellement inquiétant pour l’investissement étranger.
Un Nouveau Code Minier pour une Part du Gâteau Plus Grande
Début juin 2025, la mesure phare du nouveau Code Minier burkinabè, adopté en août 2024, est entrée en application. L’État voit désormais sa participation gratuite (« free-carried interest ») au capital des grands projets miniers passer de 10% à 15%. Cette mesure, qui s’applique sans coût additionnel pour les finances publiques, signifie concrètement une augmentation de 50% des dividendes futurs perçus par l’État sur les bénéfices des mines. La société australienne West African Resources, un acteur majeur dans le pays avec ses projets de Sanbrado, Kiaka et Toega, a été l’une des premières à officialiser son accord avec les nouvelles dispositions, après des négociations avec le gouvernement. Bien que l’entreprise assure que ses prévisions de production et de coûts pour 2025 restent inchangées, ce réajustement contractuel marque un tournant dans les relations entre la junte militaire et les compagnies étrangères.
La Souveraineté sur les Ressources, Pilier de la Stratégie de la Junte
Cette réforme n’est pas un simple ajustement technique ; elle est au cœur du discours politique du Capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir depuis le coup d’État de septembre 2022. Dans un contexte de rupture avec les partenaires occidentaux traditionnels (notamment la France) et d’affirmation nationale forte, la « souveraineté sur les ressources » est devenue un leitmotiv. L’objectif affiché est de s’assurer que les richesses du sous-sol, et en premier lieu l’or, profitent davantage aux citoyens burkinabè. Le Burkina Faso est le quatrième producteur d’or en Afrique, et le métal jaune représente plus de 70% de ses recettes d’exportation, constituant la pierre angulaire de son économie. Pendant des années, le secteur a été dominé par des entreprises étrangères (canadiennes, australiennes, britanniques) qui, tout en apportant capital et expertise, rapatriaient la majorité des profits, ne laissant au pays que les retombées fiscales et une part minoritaire des dividendes. La junte entend ainsi corriger ce qu’elle perçoit comme un déséquilibre historique.
Un Signal Ambigu pour les Investisseurs Étrangers
Pour les investisseurs miniers, présents et futurs, cette décision envoie un signal ambivalent. D’un côté, l’accord trouvé avec West African Resources, sans modification des autres termes clés de ses conventions minières, peut être vu comme un signe de pragmatisme de la part des autorités. Cela suggère qu’un dialogue reste possible et que la junte ne cherche pas une rupture brutale qui tarirait les investissements. De l’autre côté, toute modification unilatérale des termes d’un contrat, même si elle s’appuie sur une nouvelle législation nationale, crée une incertitude juridique et politique. Les investisseurs potentiels pourraient y voir un risque accru de « nationalisme économique » et hésiter à engager les centaines de millions de dollars nécessaires à l’exploration et au développement de nouvelles mines. La crédibilité et la prévisibilité du cadre réglementaire sont des facteurs clés pour attirer les capitaux dans un secteur aussi capitalistique et risqué que l’exploitation minière.
Au-delà de l’Économie, le Financement d’un État en Guerre
Il est impossible de dissocier cette réforme du contexte sécuritaire dramatique du Burkina Faso. Le pays est engagé dans une lutte existentielle contre des groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État Islamique, qui contrôlent de vastes pans du territoire. L’augmentation des revenus de l’or n’a pas seulement pour but le développement social ; elle est aussi et surtout un moyen crucial pour financer l’effort de guerre. L’acquisition d’équipements militaires, le recrutement de volontaires pour la défense de la patrie (VDP), et le renforcement général des capacités de l’État face à l’insurrection nécessitent des ressources financières considérables, d’autant plus que les aides budgétaires de certains partenaires occidentaux ont été suspendues suite au coup d’État. L’or devient ainsi, plus que jamais, le nerf de la guerre et de la survie de l’État burkinabè dans sa forme actuelle.
Le Pari Burkinabè, Baromètre pour le Secteur Minier Africain
La démarche du Burkina Faso s’inscrit dans une tendance plus large de renégociation des contrats et de réaffirmation de la souveraineté des États africains sur leurs ressources naturelles, observée ces dernières années dans des pays comme la Zambie, la Tanzanie ou la République Démocratique du Congo. Le « nationalisme minier » est une lame de fond qui répond à une demande populaire de retombées plus équitables. Le pari du Capitaine Traoré est de réussir à augmenter les revenus de l’État sans pour autant faire fuir les investisseurs qui disposent du capital et de la technologie nécessaires à l’exploitation. Le succès – ou l’échec – de cette stratégie sera observé de très près par les autres gouvernements africains et par l’ensemble de l’industrie minière mondiale. Le cas burkinabè pourrait ainsi devenir un baromètre de la capacité des États du Sahel, et au-delà, à redéfinir les termes de leur partenariat avec le capital international dans un contexte de crise sécuritaire et d’affirmation politique.