Face à des infrastructures en déliquescence qui paralysent son économie, l’Afrique du Sud se tourne vers la Banque Mondiale. Un prêt de 1,5 milliard de dollars pour colmater les brèches, mais qui alourdit une dette déjà abyssale.
Un Prêt Stratégique pour une Économie à l’Arrêt
L’annonce faite ce lundi par le Trésor national sud-africain est celle d’une bouffée d’oxygène pour une économie qui suffoque. La Banque Mondiale a accordé un prêt de 1,5 milliard de dollars à Pretoria, destiné à moderniser ses infrastructures de transport et à soutenir sa transition vers une économie bas-carbone. Cette injection de capital est une réponse directe à une crise profonde : la détérioration de son système ferroviaire, la congestion de ses ports et les pannes d’électricité chroniques (le « load shedding ») ont paralysé des secteurs vitaux comme l’industrie minière et l’automobile, moteurs traditionnels de la croissance. Ces blocages logistiques et énergétiques sont l’une des causes principales de la stagnation économique que connaît le pays depuis plus d’une décennie.
Le Pari du Nouveau Gouvernement de Coalition de Ramaphosa
Ce prêt intervient à un moment politique charnière. Le président Cyril Ramaphosa, à la tête d’un nouveau gouvernement de coalition, a promis de s’attaquer de front à la corruption, à des décennies de mauvaise gestion au sein des entreprises d’État (comme Eskom pour l’énergie et Transnet pour la logistique), et de poursuivre des réformes structurelles. Le prêt de la Banque Mondiale est donc perçu comme un vote de confiance dans cette nouvelle feuille de route. Il s’inscrit dans un plan d’investissement plus large, le budget 2025-2026 ayant alloué plus de 1 000 milliards de rands (environ 55 milliards de dollars) sur trois ans pour les infrastructures critiques (transport, énergie, eau). Le gouvernement espère que ces fonds permettront de créer des emplois et de relancer une croissance inclusive.
La Ligne de Crête : Entre Investissement Vital et Surendettement
C’est ici que réside tout le dilemme sud-africain. Si l’investissement est vital, il est financé par un endettement croissant. Le Trésor se félicite des conditions avantageuses du prêt (notamment un différé de remboursement de trois ans), qui devraient alléger à court terme le service de la dette. Mais cela ne change rien à la réalité structurelle : selon le ministre des Finances, Enoch Godongwana, la dette publique devrait se stabiliser à un niveau alarmant de 77,4% du PIB en 2025-2026. Or, cette nouvelle dette est contractée dans un contexte de croissance anémique. Les prévisions du PIB réel pour 2025 ont été revues à la baisse, passant de 1,9% à seulement 1,4%, en raison d’une conjoncture mondiale dégradée et de la persistance des contraintes logistiques internes. L’Afrique du Sud marche sur une ligne de crête : s’endetter pour croître, tout en espérant que la croissance future permettra de rembourser une dette qui, pour l’heure, continue de peser lourdement sur ses finances.
Un Système Vulnérable : le Coup de Massue des Coupes de l’USAID
La fragilité du modèle sud-africain est d’autant plus exposée qu’il doit faire face à des chocs externes. La dépêche mentionne un exemple frappant : le démantèlement de l’USAID par l’administration Trump, qui a entraîné une coupe de 436 millions de dollars de financement annuel pour la prévention et le traitement du VIH. Le ministre Godongwana a admis que le pays, malgré la gravité de la situation pour l’un des plus grands contingents de séropositifs au monde, n’a pas les fonds pour combler ce déficit. Cet épisode illustre crûment le manque de marge de manœuvre budgétaire de l’État. Quand un choc externe de moins d’un demi-milliard de dollars ne peut être absorbé, comment le pays peut-il faire face à des crises plus importantes tout en gérant un service de la dette qui engloutit une part croissante de ses revenus ?
L’Afrique du Sud au Pied du Mur : Plus le Droit à l’Erreur
Le prêt de 1,5 milliard de dollars de la Banque Mondiale n’est pas une solution miracle, mais une nouvelle cartouche dans l’arsenal du gouvernement Ramaphosa. Il offre des moyens et un répit. Cependant, le véritable test ne résidera pas dans la capacité à obtenir des prêts, mais dans celle à mettre en œuvre des réformes structurelles douloureuses mais indispensables au sein de ses entreprises publiques. Il s’agit de s’assurer que chaque dollar emprunté génère une croissance réelle et durable, capable de briser le cercle vicieux de la stagnation et de l’endettement. Pour l’économie la plus industrialisée d’Afrique, qui fait face à un taux de chômage parmi les plus élevés au monde, le temps des demi-mesures est révolu. L’effondrement n’est pas une fatalité, mais la marge d’erreur est désormais quasi inexistante.