C’est une charge d’une rare virulence, lancée depuis le cœur du système financier mondial. Ce jeudi, à Washington, en clôture des réunions des ministres des Finances du G20, le gouverneur de la Banque Centrale d’Afrique du Sud, Lesetja Kganyago, a lancé une offensive en règle contre les agences de notation. Profitant de la présidence sud-africaine du G20, il a appelé les pays en développement à exiger la transparence et à se donner les moyens de « défier » les méthodologies de ces institutions toutes-puissantes. Derrière cette déclaration se cache une bataille de fond, celle contre la « prime de risque africaine », ce coût du capital souvent jugé excessif qui freine le développement du continent.
Le Poids des « Trois Sœurs »
Le pouvoir des « trois sœurs » – Moody’s, S&P et Fitch – est colossal. Une simple dégradation de la note souveraine d’un pays peut déclencher une fuite des capitaux, faire flamber les taux d’intérêt et plonger une économie dans la crise. Or, depuis des années, de nombreuses voix du Sud Global, relayées par des institutions comme le PNUD, dénoncent des notations qu’elles jugent subjectives, pro-cycliques (aggravant les crises au lieu de les anticiper) et biaisées contre les pays en développement. L’Afrique du Sud en a fait l’un des chevaux de bataille de sa présidence du G20.
Si nous pouvons prendre leur méthodologie et leurs données et voir si nous sommes capables de les reproduire… nous pouvons les défier et leur dire que leur notation est fausse
Lesetja Kganyago, Gouverneur, Banque Centrale d’Afrique du Sud
L’Accusation de la « Boîte Noire »
L’argument de Lesetja Kganyago, tel que rapporté par Reuters, est une critique de la « boîte noire ». Il soutient que si les méthodologies et les données utilisées par les agences étaient entièrement transparentes, les États pourraient les répliquer, les vérifier et, le cas échéant, les contester sur une base factuelle. Cette demande de transparence vise à transformer une relation de soumission en un dialogue technique contradictoire, où la perception laisserait place à la preuve.
Une Présidence, des Ambitions Contrariées
L’Afrique du Sud avait placé de grands espoirs dans sa présidence du G20 pour faire avancer ce dossier. Un document d’orientation initial prévoyait même la création d’une commission dédiée à l’étude de ces barrières au financement. Cependant, la réalité du pouvoir s’est avérée plus complexe. La réunion de Washington s’est conclue non pas par un communiqué commun formel – signe d’un consensus fort – mais par un simple « Résumé de la Présidence ». Ce format, de plus en plus courant dans les forums multilatéraux fracturés, indique une absence d’accord entre les membres sur les sujets les plus clivants. La commission proposée, quant à elle, n’a pas vu le jour.
Un Combat qui Continue
Malgré ce bilan en demi-teinte, la bataille n’est pas terminée. L’Afrique du Sud, qui passera le relais de la présidence du G20 aux États-Unis en novembre, a réussi à inscrire durablement le sujet à l’agenda. Le résumé de la présidence mentionne la nécessité de « réformes des banques multilatérales de développement pour amplifier l’influence des pays en développement dans les processus de décision ». Cette offensive pour plus d’équité dans l’architecture financière mondiale est un combat de longue haleine. En portant la voix du Sud Global au cœur du G20, Pretoria a peut-être perdu une bataille, mais elle a marqué des points importants dans une guerre qui ne fait que commencer.
