Le monde traverse une crise de la faim d’une ampleur dévastatrice. Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), 319 millions de personnes souffrent de faim aiguë. Mais alors que l’attention médiatique et politique se concentre sur des crises très visibles, une tragédie d’une ampleur comparable se déroule dans une relative indifférence : l’Afrique de l’Est est en train de sombrer. Dans un mémoire percutant, l’organisation U.S. Committee for Refugees and Immigrants (USCRI) alerte sur « l’une des crises alimentaires les plus graves et les moins médiatisées de notre temps ». Du Soudan à la Somalie, en passant par l’Éthiopie et le Kenya, une combinaison mortelle de conflits, de chocs climatiques et d’effondrements économiques a poussé près de 62 millions de personnes dans une situation d’insécurité alimentaire aiguë en 2024.
L’Échelle de la Faim : Comprendre l’IPC
Pour mesurer objectivement la gravité d’une telle crise, la communauté internationale s’appuie sur un outil standardisé : le Cadre Intégré de Classification de la Sécurité Alimentaire (IPC). Cette échelle, qui va de 1 (Minimale) à 5 (Catastrophe/Famine), permet de dépasser les impressions pour poser un diagnostic technique.
- Phase 3 (Crise) : Les familles sont contraintes de vendre leurs biens ou de sauter des repas.
- Phase 4 (Urgence) : La malnutrition aiguë est généralisée et la mortalité augmente de manière anormale.
- Phase 5 (Famine) : La mort, la misère et des niveaux de malnutrition critiques sont généralisés.
Selon l’USCRI, de vastes zones d’Afrique de l’Est sont déjà en Phase 4, et pire encore, la famine (Phase 5) est déjà confirmée dans certaines régions du Soudan, ravagé par la guerre.
L’urgence alimentaire mondiale n’est pas seulement un problème humanitaire : c’est une crise qui menace la stabilité de régions entières.
Les Moteurs d’une Tempête Parfaite
La crise en Afrique de l’Est n’est pas le fruit d’une seule cause, mais de la convergence de plusieurs fléaux.
- Les Conflits : La guerre civile au Soudan a détruit les récoltes et les marchés, créant la plus grande crise de déplacement au monde et plongeant des millions de personnes dans la famine. Au Soudan du Sud, des décennies d’instabilité continuent de perturber la production agricole.
- Les Chocs Climatiques : La Corne de l’Afrique sort à peine de la pire sécheresse de ces quarante dernières années, qui a décimé le bétail et les cultures. Elle est aujourd’hui frappée par des inondations dévastatrices (phénomène El Niño), qui emportent le peu qui restait.
- L’Effondrement Économique : L’inflation galopante des denrées alimentaires, aggravée par les crises mondiales, a rendu les aliments de base inaccessibles pour des millions de personnes, même dans les zones non directement touchées par les conflits ou les inondations.
Une Crise Oubliée
Le drame de l’Afrique de l’Est, comme le souligne l’USCRI, est qu’il se déroule dans un contexte de « fatigue des donateurs » et de multiplication des crises mondiales. Alors que l’attention se porte sur d’autres régions, les financements pour cette crise humanitaire peinent à se matérialiser. Cette indifférence a des conséquences directes. « Sans action urgente, volonté politique et ressources durables, davantage de vies seront perdues à cause de la famine, de la maladie et de souffrances évitables », prévient l’organisation. L’enjeu dépasse la simple aide humanitaire. La faim et les déplacements massifs qu’elle engendre sont des facteurs de déstabilisation régionale majeurs, qui alimentent à leur tour de nouveaux conflits. Rompre ce cercle vicieux n’est pas seulement un impératif moral ; c’est un impératif de sécurité mondiale.
