NAIROBI – Dans son bureau de Nairobi, Pankaj Bedi, patron de l’usine textile United Aryan, résume la situation en une phrase : « Sans AGOA, c’est la chute libre. » Pour lui comme pour des centaines de milliers d’ouvriers africains, l’African Growth and Opportunities Act (AGOA) est bien plus qu’un accord commercial : c’est une bouée de sauvetage. Or, ce programme qui donne depuis 2000 un accès sans droits de douane au marché américain arrive à expiration fin septembre. Et l’incertitude plane.
Un Pacte Vital pour l’Industrie Africaine
Adoptée sous la présidence de Bill Clinton, l’AGOA couvre aujourd’hui 1 800 produits exportés par 32 pays africains vers les États-Unis. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, le Kenya a exporté pour 737 millions de dollars de biens vers l’Amérique, dont la majorité en textiles. Madagascar, de son côté, réalise près de 500 millions de dollars d’exportations annuelles grâce à ce programme. Au Lesotho, 80 % des revenus d’exportation dépendent de l’AGOA.
À l’échelle du continent, près de 300 000 emplois dépendent directement de ce partenariat, dont 200 000 rien qu’au Kenya. « Sans cet accord, c’est un château de cartes qui s’effondre », prévient Bedi, qui fournit des géants comme Walmart et Target.
Le Couperet des Tarifs Américains
Le problème est simple : si l’AGOA expire, les droits de douane sur les produits africains exploseront. Pour les textiles synthétiques, la hausse serait brutale, de 10 % actuellement à 43 %. De quoi rendre les exportations africaines immédiatement non compétitives.
Déjà, la politique protectionniste de Donald Trump fragilise les négociations. Son administration a imposé des surtaxes universelles de 10 %, touchant de plein fouet des pays comme le Lesotho (50 %) ou l’Afrique du Sud (31 %). « Les tarifs annulent de fait l’esprit de l’AGOA », estiment plusieurs experts.
Une Bataille de Lobbying à Washington
Face à la menace, l’Afrique se mobilise. Des délégations venues du Kenya, de Madagascar et d’autres pays bénéficiaires ont tenu plus de 30 réunions au Congrès américain ces derniers jours. Objectif : obtenir au moins une extension d’un ou deux ans.
Selon Bedi, républicains et démocrates se disent favorables à un renouvellement. Mais la difficulté est procédurale : trouver, dans un calendrier législatif serré, un texte auquel rattacher la prolongation. « L’AGOA pourrait mourir non pas par opposition politique, mais par manque de temps », résume un analyste.
Entre Rivalité Géopolitique et Survie Économique
Pour Washington, l’AGOA n’est pas qu’une faveur faite à l’Afrique : c’est aussi un outil stratégique face à l’influence grandissante de la Chine. Mais la priorité de Trump reste claire : « America First », quitte à sacrifier un levier géopolitique vieux de 25 ans.
En cas de disparition de l’accord, les États-Unis se tourneraient mécaniquement vers leurs fournisseurs asiatiques. « Si l’AGOA disparaît, le business repartira vers la Chine », avertit Bedi.
L’Afrique à la Croisée des Chemins
La fin possible de l’AGOA pose une question plus large : comment l’Afrique peut-elle sécuriser son avenir commercial ? Certains experts estiment que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) pourrait offrir une alternative. Avec 1,2 milliard d’habitants et 3 milliards de dollars d’échanges intra-africains potentiels, le continent dispose d’un marché interne en devenir. Mais cette transition prendra du temps.
Pour l’instant, les regards restent tournés vers Washington. Entre lobbying intensif, promesses bipartites et délais serrés, les prochains jours seront décisifs. Derrière les chiffres, ce sont des milliers d’emplois et des économies entières qui jouent leur survie.
« Sans AGOA, les usines fermeront et le chaos s’installera », prévient Bedi. L’Afrique retient son souffle.
