« Quand la poussière de la guerre tarifaire de Trump retombera, les économies africaines seront les plus durement touchées« . Le diagnostic est posé dès la première ligne, et il est brutal. Dans une tribune publiée ce 5 septembre dans le Financial Times, l’ancien gouverneur de la Banque Centrale du Kenya, Patrick Njoroge, lance un avertissement solennel. Selon lui, une « tempête parfaite », nourrie par des chocs externes violents et des vulnérabilités internes profondes, menace d’effacer deux décennies de progrès et de plonger le continent dans une crise financière dont les répercussions seraient mondiales. Loin d’un appel à l’aide, son texte est un plaidoyer pour une autocritique africaine et une réforme urgente de l’ordre économique mondial.
Anatomie d’une « Tempête Parfaite »
La crise décrite par Patrick Njoroge est la convergence de plusieurs chocs exogènes qui frappent simultanément des économies déjà fragilisées. Premièrement, la dette. Le coût du service de la dette extérieure de l’Afrique a atteint, selon ses termes, « son plus haut niveau depuis plus de deux décennies ». Les données du rapport « International Debt Statistics » de la Banque Mondiale le confirment, montrant une explosion des paiements d’intérêts qui, dans de nombreux pays, « consomment plus de ressources que les dépenses de santé ou d’éducation ». Deuxièmement, le commerce. L’imposition de tarifs douaniers par Washington est jugée « dévastatrice » pour des économies dont le ratio commerce/PIB avoisine les 60%. L’AGOA, l’accord préférentiel avec les États-Unis, expire en septembre et est, selon lui, déjà vidé de sa substance par ces mesures unilatérales. Troisièmement, l’aide au développement (APD). Face aux conflits mondiaux et aux tensions budgétaires, les grands donateurs réduisent leurs budgets. Njoroge cite les projections de l’OCDE, qui anticipent une nouvelle baisse de 9 à 17% de l’APD en 2025, après une chute de 9% en 2024, mettant en péril des programmes sociaux vitaux.
Une Croissance qui ne Tient pas ses Promesses
Cette pression externe s’exerce sur des économies aux fondations internes précaires. C’est le paradoxe de la « croissance sans emploi ». Bien que le continent abrite, selon la Banque Africaine de Développement (BAD), une partie des économies les plus dynamiques du monde, cette croissance ne se traduit pas en emplois. Njoroge rappelle le décalage alarmant : « L’Afrique ne crée que 3,7 millions d’emplois par an ; il en faut 10 à 12 millions » pour absorber la jeunesse qui arrive sur le marché. Ce déficit alimente un « mécontentement croissant », notamment chez les jeunes. Le tableau est complété par un immense déficit d’infrastructures – près de la moitié de la population subsaharienne n’a pas accès à l’électricité.
Le Sursaut par l’Intérieur et la Réforme de l’Extérieur
Face à ce tableau sombre, Patrick Njoroge refuse le pessimisme et esquisse une double feuille de route. La première est du ressort des Africains eux-mêmes. Il appelle les gouvernements à « stabiliser leurs économies en renforçant les marchés intérieurs, les institutions et la redevabilité ». Il met en avant des leviers de résilience endogènes souvent sous-estimés : la puissance des transferts de fonds de la diaspora, qui ont « dépassé l’aide et l’IDE combinés », et l’innovation financière locale comme le « mobile money », qui a permis à 35% des adultes de la région d’épargner via des canaux formels. Mais l’effort interne ne suffira pas. La seconde partie de son plaidoyer est un appel à une « accélération de la réforme de l’architecture financière mondiale ». Ses propositions font écho à celles portées par d’autres voix du Sud, notamment dans le cadre de l’Initiative de Bridgetown. Il plaide pour une refonte du FMI et de la Banque Mondiale, une régulation plus transparente des agences de notation pour corriger la « prime de risque » injustifiée payée par l’Afrique, et surtout, un « allégement complet de la dette » qui aille au-delà du cadre au cas par cas du G20.
L’Avertissement Keynésien
Pour donner du poids à son argument, Njoroge convoque l’histoire. Il compare la situation actuelle à celle de l’Allemagne au sortir de la Première Guerre mondiale, et invoque la critique prémonitoire de John Maynard Keynes contre les conditions punitives du Traité de Versailles. Comme Keynes l’avait prédit, écraser un pays sous le poids de la dette peut avoir des « conséquences désastreuses pour le reste du monde ». Le message est clair : dans un monde interdépendant, « les répercussions de la pauvreté et de l’effondrement des États ne peuvent être contenues à l’intérieur de frontières ». Aider l’Afrique à renforcer ses perspectives économiques n’est pas une question de charité, mais de lucidité et d’intérêt mutuel. Autrement, conclut-il, « il n’y aura aucun gagnant ».

