Surnommé « l’Amazon de l’Afrique », le pionnier du e-commerce Jumia a frôlé la faillite après des années de croissance à tout prix. Sous l’impulsion d’un nouveau dirigeant, l’entreprise opère un virage stratégique radical : fin du mimétisme occidental et recentrage sur les réalités du marché africain. Une course contre la montre pour la rentabilité est désormais engagée face à la montée en puissance des concurrents chinois.
Une nouvelle feuille de route pour Jumia
Loin de l’euphorie de son introduction à la bourse de New York en 2019, Jumia Technologies AG présente aujourd’hui un visage radicalement différent. L’heure n’est plus à l’expansion à tout prix, mais à une discipline de fer. Sous l’impulsion de son directeur général Francis Dufay, l’entreprise a enclenché un plan de redressement drastique dont les premiers fruits sont visibles. Le deuxième trimestre 2025 a affiché une perte opérationnelle de 16,5 millions de dollars, en baisse de 18 % sur un an, tandis que le chiffre d’affaires a progressé de 25 % pour atteindre 45,6 millions de dollars.
Plus significatif encore, l’arrivée au conseil d’administration de Hassanein Hiridjee, PDG du groupe panafricain Axian Telecom, qui détient désormais près de 10 % du capital. Ce mouvement valide la nouvelle stratégie et alimente les spéculations sur un partenariat renforcé, voire une prise de contrôle. Après des années à brûler des liquidités, Jumia semble enfin avoir arrêté l’hémorragie, avec un objectif clair : atteindre la rentabilité d’ici 2027.
Leçons d’un échec : la fin du copier-coller
Pour comprendre ce virage, il faut revenir aux origines du mythe. Jumia a été vendue aux investisseurs comme « l’Amazon de l’Afrique », une promesse simple et séduisante à une époque d’argent facile et d’utopie technologique. Financée à hauteur de plus de 800 millions de dollars par des noms prestigieux comme Goldman Sachs et Rocket Internet, l’entreprise a appliqué une recette éprouvée ailleurs : expansion géographique rapide et diversification agressive (livraison de repas, réservations de voyages…).

Mais l’Afrique n’est pas un marché homogène. Le modèle s’est heurté à la réalité du terrain : des infrastructures logistiques embryonnaires où les rues n’ont parfois pas d’adresse formelle, une faible bancarisation obligeant au paiement à la livraison (avec un taux de rejet élevé), et surtout, une classe moyenne au pouvoir d’achat bien plus faible que fantasmé. « On ne peut pas servir des clients soucieux de leur argent… avec des frais généraux d’une entreprise de luxe », concède aujourd’hui Francis Dufay. La stratégie du « copier-coller » d’un modèle occidental sur l’une des régions les plus pauvres du monde a montré ses limites.
Le pragmatisme comme nouvelle boussole
La thérapie de choc a été brutale. Jumia s’est retirée de 5 de ses 14 marchés, dont l’Afrique du Sud et la Tunisie, pour se concentrer sur ses neuf pays les plus prometteurs. L’activité de livraison de nourriture a été fermée. Les dépenses marketing ont été divisées par quatre. L’entreprise a troqué son ambition de servir une classe moyenne émergente pour se concentrer sur la « vraie classe moyenne » africaine, ces consommateurs gagnant entre 200 et 300 dollars par mois.
