L’annonce par le général Brice Oligui Nguema d’une loi d’amnistie pour les auteurs du coup d’État de 2023 et de la tentative de 2019 a été présentée comme un geste de « réconciliation nationale ». Pour un observateur économique aguerri, cependant, cette décision est bien plus qu’un acte politique magnanime. C’est avant tout une manœuvre stratégique majeure dont la cible principale n’est pas la population gabonaise, mais bien la communauté financière internationale. En faisant table rase du passé récent, le pouvoir de transition cherche à fabriquer l’actif le plus précieux et le plus rare dans un contexte post-coup : la confiance.
Consolider le pouvoir pour bâtir la crédibilité
Le premier objectif de cette loi est de nature interne, mais à finalité externe. En s’auto-amnistiant, ainsi que ses compagnons d’armes, le général Nguema verrouille sa position et neutralise toute menace judiciaire future. Cette consolidation du pouvoir n’est pas une fin en soi ; c’est un prérequis. Pour un investisseur étranger, un pouvoir de transition menacé de l’intérieur est un risque rédhibitoire. En éliminant cette incertitude, le régime peut désormais se présenter sur la scène internationale non plus comme un groupe de putschistes, mais comme un gouvernement stable, maître du calendrier et apte à garantir les contrats et les investissements à long terme.
« Dé-risquer » le Gabon : l’opération séduction des capitaux
L’économie gabonaise, historiquement dépendante des hydrocarbures, a un besoin criant de diversification et donc d’investissements directs étrangers (IDE) massifs. Or, le capital est par nature averse au risque. La loi d’amnistie est la pierre angulaire d’une stratégie de « dé-risquage » du pays. Elle envoie un signal clair aux marchés : le chapitre de l’instabilité politique est clos. Le message est destiné aux fonds d’investissement, aux agences de notation et aux multinationales minières et forestières qui lorgnent sur les richesses du Gabon, mais qui étaient jusqu’ici refroidies par l’incertitude. En abaissant le « risque pays », Libreville espère rendre ses projets d’infrastructures et ses licences d’exploitation à nouveau attractifs.
De la réconciliation au référendum : l’agenda économique caché
Cette amnistie n’arrive pas par hasard. Elle s’inscrit dans un agenda politique soigneusement orchestré qui doit mener à un référendum constitutionnel. Chaque étape – dialogue national, pardon, nouvelle constitution, futures élections – est conçue pour projeter l’image d’une transition ordonnée et prévisible. Pour les bailleurs de fonds internationaux comme le FMI ou la Banque Mondiale, un tel agenda est essentiel. Il démontre une volonté de retour à une normalité institutionnelle, condition sine qua non pour la reprise des programmes d’aide, l’allègement de la dette et, in fine, le financement des réformes économiques structurelles.
Le pardon comme actif économique
En définitive, le pardon devient ici un véritable actif économique. Le pouvoir gabonais utilise l’amnistie pour racheter une forme de légitimité et pour transformer un passif politique – le coup d’État – en un argument pour l’avenir. Il parie que pour les acteurs économiques, la promesse de stabilité et d’un environnement des affaires assaini pèsera plus lourd que les considérations sur l’origine du pouvoir. La question reste ouverte : cette stabilité décrétée par la loi sera-t-elle suffisante pour attirer les capitaux nécessaires à la transformation d’une économie longtemps plombée par la corruption et la rente pétrolière ? La réponse déterminera le succès, ou l’échec, du pari du général Nguema.

