La diffusion récente d’images montrant des véhicules blindés Dongfeng CS/VP4 « Tiger » neufs, livrés aux Forces Armées du Burkina Faso, est bien plus qu’une simple mise à jour d’équipement. Cet événement, en apparence anodin, est en réalité une pièce maîtresse qui vient compléter le puzzle de la nouvelle doctrine de défense et de politique étrangère du Capitaine Ibrahim Traoré. Face à une insurrection djihadiste qui ronge le pays, Ouagadougou a opéré un pivot stratégique radical, construisant un arsenal militaire hétéroclite auprès d’une nouvelle coalition de partenaires. Analyser ces acquisitions, c’est décrypter la naissance d’un axe sécuritaire post-occidental au cœur battant du Sahel.
Le divorce avec Paris, acte fondateur
Pour comprendre la présence de matériel chinois sur le sol burkinabè, il faut d’abord se souvenir de l’absence française. La junte au pouvoir a acté une rupture spectaculaire et totale avec l’ancien partenaire historique. Le départ forcé des forces spéciales de l’opération Sabre en 2023 a marqué la fin d’une ère de coopération militaire et a laissé un vide capacitaire immense. Ce divorce politique, présenté comme un acte de souveraineté reconquise, a contraint Ouagadougou à chercher, dans l’urgence, de nouveaux fournisseurs capables de livrer rapidement et sans les conditionnalités politiques qui accompagnaient souvent l’aide occidentale.
L’axe Moscou-Ankara, piliers de la nouvelle souveraineté
Le premier mouvement de ce pivot a été un rapprochement politico-militaire avec la Russie. Cet axe, cimenté par la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) avec le Mali et le Niger, offre à la junte une garantie politique sur la scène internationale et un appui en matière de conseil et de formation, via la présence discrète mais réelle de membres de l’Africa Corps (ex-Wagner). Parallèlement, le Burkina Faso s’est tourné vers la Turquie pour sa supériorité aérienne. L’acquisition de drones de combat Bayraktar TB2 et, plus récemment, d’Akinci, a changé la dynamique sur le terrain, offrant des capacités de surveillance et de frappe de précision qui manquaient cruellement aux forces locales.
Pékin, le fournisseur pragmatique et discret
C’est dans ce contexte que s’insère la Chine. Si Moscou offre le parapluie géopolitique et Ankara la puissance des airs, Pékin se positionne comme le grand magasin du matériel terrestre. L’acquisition de blindés légers « Tiger » répond à un besoin critique : la mobilité et la protection des troupes au sol dans les opérations de contre-insurrection. Contrairement à la Russie, l’implication chinoise est avant tout commerciale. Pékin offre un catalogue complet de matériel abordable, éprouvé et, surtout, disponible immédiatement, sans engagement idéologique visible ni ingérence directe dans la stratégie politique du régime. La Chine vend des outils, pas une alliance, ce qui convient parfaitement à la quête de diversification et d’autonomie du Burkina Faso.
Un pragmatisme de survie à l’épreuve du terrain
La stratégie d’équipement du Burkina Faso dessine les contours d’un pragmatisme de survie. Plutôt que de dépendre d’un seul parrain, le Capitaine Traoré tisse une toile de partenariats où chaque acteur apporte une brique spécifique. Cette mosaïque, si elle est séduisante sur le papier, pose cependant des défis de taille en matière de maintenance, de formation et d’interopérabilité d’équipements d’origines si diverses. La véritable question est désormais de savoir si cet arsenal hétéroclite, symbole d’une souveraineté réaffirmée, se traduira par une efficacité réelle et durable sur le terrain complexe et mouvant de la guerre contre les groupes djihadistes. La survie du régime en dépend.

