En Afrique de l’Est, certaines cultures ont façonné des économies entières, dessiné des paysages, nourri des millions de foyers et fait naître de puissants récits identitaires. Le café éthiopien et le thé kenyan ne sont pas de simples produits agricoles : ce sont des piliers économiques, des symboles culturels, et, de plus en plus, des terrains d’enjeux géopolitiques et climatiques.
Une Rente Verte à Haut Potentiel
L’Éthiopie est le berceau historique du café arabica. Chaque année, ce sont plus de 3,5 milliards de dollars qui sont générés par cette filière, avec près de 15 millions de personnes vivant directement ou indirectement de sa culture. De son côté, le Kenya domine le continent dans le secteur du thé, représentant environ 9 % des exportations mondiales, grâce à ses plantations de haute altitude qui assurent une qualité recherchée.
Ces deux produits sont emblématiques d’une Afrique de l’Est agricole qui a su conquérir les marchés internationaux. Ils représentent plus qu’un moteur d’exportation : ce sont des “monnaies vertes”, des ressources naturelles renouvelables qui, bien gérées, peuvent structurer une croissance durable.
Un Marché Mondialisé… et Déséquilibré
Mais cette valeur repose en grande partie sur des marchés extérieurs, soumis à la spéculation mondiale. Les cours du café et du thé fluctuent au gré des crises géopolitiques, des tensions climatiques ou des arbitrages boursiers à New York ou à Londres. Les petits producteurs, souvent regroupés en coopératives, subissent des effets de prix qu’ils ne contrôlent pas.
Par ailleurs, la chaîne de valeur reste profondément asymétrique : le vrai bénéfice se fait à l’étranger, dans la transformation, la commercialisation ou la distribution. Un sachet de thé kényan ou un espresso à base de café éthiopien vendu à Paris ou Tokyo peut rapporter jusqu’à 10 fois plus que ce que touche le producteur initial.
L’Urgence de la Valeur ajoutée Locale
Pour espérer inverser cette tendance, plusieurs initiatives visent à développer la transformation locale : torréfaction en Éthiopie, export de feuilles de thé prêtes à infuser au Kenya, émergence de labels de qualité géographique. Mais les obstacles sont nombreux : infrastructures insuffisantes, faible accès au crédit, lourdeurs réglementaires, concurrence déloyale.
Certaines start-up misent sur des circuits courts, la traçabilité blockchain ou le commerce équitable, mais peinent encore à faire basculer l’ensemble du secteur. Sans montée en gamme ni innovation logistique, les producteurs resteront à la merci du marché international.
Un Avenir sous Pression Climatique
À cela s’ajoute une menace croissante : le changement climatique. Les régions caféières d’altitude sont de plus en plus affectées par la sécheresse, la prolifération de parasites et l’imprévisibilité des saisons. De même, la culture du thé, très dépendante de l’humidité, connaît des rendements en baisse dans certaines zones du centre du Kenya.
Les modèles agricoles doivent évoluer rapidement : diversification des variétés, adaptation agroécologique, recours aux données climatiques. La pérennité de ces cultures n’est plus garantie si des investissements massifs ne sont pas faits dès maintenant.
L’Afrique de l’Est tient entre ses mains deux joyaux agricoles. Mais entre les marchés volatils, la faiblesse de la valeur locale captée, et l’urgence climatique, ces richesses ne seront durables que si elles sont réinventées. Produire ne suffit plus : il faut transformer, protéger et faire monter en gamme. Sans cela, même l’or brun ou vert peut perdre son éclat.