Au cœur du sud-est sénégalais, le village de Bantako est devenu, en deux décennies, l’un des centres névralgiques de l’orpaillage artisanal en Afrique de l’Ouest. Chaque jour, des milliers d’hommes y creusent le sol dans l’espoir d’y extraire quelques grammes de ce métal précieux. Mais derrière la promesse de richesse, la réalité est bien plus sombre.
Un Mirage Economique
Le contexte mondial semble favorable : les tensions géopolitiques, notamment celles liées aux États-Unis ou à la Chine, ont fait grimper le prix de l’or à des niveaux historiques. Pourtant, sur les marchés locaux, les orpailleurs de Bantako restent marginalisés. À peine sortis de terre, les fragments d’or sont achetés à des prix dérisoires par des revendeurs, bien loin de la valeur réelle sur les marchés internationaux. Pour les jeunes comme Amadou Diallo, la vie ressemble à un pari constant : « On creuse dix ou quinze mètres, parfois plus. Ce n’est pas une question de profondeur, c’est une question de survie. »
Une Méthode Mortelle
Mais le plus inquiétant reste la technique utilisée pour extraire le précieux minerai : le mercure. Ce métal lourd, toxique, est versé directement sur les sédiments afin d’y fixer les fines particules d’or. Le tout est ensuite chauffé à haute température pour évaporer le mercure. Ce procédé rudimentaire, accessible, mais dangereux, est désormais ancré dans les pratiques locales.
Ses conséquences sont désastreuses. Le mercure se diffuse dans l’air, infiltre les sols, contamine les nappes phréatiques. Doudou Drama, agriculteur devenu militant écologiste, dresse un constat amer : « Les arbres meurent, les récoltes ne viennent plus. Le sol est devenu stérile. Et nous, nous respirons ce poison tous les jours. »
Un Impact Sanitaire Ignoré
Les risques sanitaires sont pourtant bien connus : maladies respiratoires, troubles neurologiques, malformations congénitales… Le mercure est classé parmi les substances les plus dangereuses par l’OMS. Mais dans les zones rurales comme Bantako, l’information circule peu, les soins sont rares, et l’urgence économique prime.
Face à l’absence d’alternatives viables et de soutien structurant, les orpailleurs poursuivent leur activité, conscients du danger, mais acculés par la nécessité. « On sait que c’est dangereux, mais on n’a pas le choix », confie un jeune mineur croisé sur le site.
Un Encadrement Politique à la Peine
Le gouvernement sénégalais, conscient du problème, a tenté à plusieurs reprises d’interdire l’usage du mercure. Mais sans solutions de rechange, ni contrôle effectif sur les sites d’extraction, ces interdictions restent lettre morte. Le secteur artisanal de l’or échappe encore largement à toute régulation efficace.
Ce paradoxe est symptomatique d’une économie informelle dans laquelle l’État peine à imposer des normes sans offrir d’alternatives réalistes. Le mercure continue de circuler, l’or continue de sortir, et les ravages environnementaux s’accumulent.
Un Choix Impossible
À Bantako, l’or n’est plus seulement une ressource : il est devenu un piège. Ceux qui le cherchent sacrifient leur santé, leur terre et parfois leur avenir pour quelques grammes de métal. Dans un silence assourdissant, une génération entière mise tout sur une activité qui détruit plus qu’elle ne construit.