Ils partagent le même bureau, mais pas le même monde.
L’un jure par la hiérarchie, la ponctualité et l’endurance. L’autre ne jure que par la flexibilité, le sens et l’impact immédiat. L’un veut transmettre, l’autre transformer.
Pas de guerre ouverte entre générations, mais une cohabitation minée par les malentendus. Et dans les entreprises de la région, cette fracture silencieuse devient un vrai défi de gouvernance.
Une fracture générationnelle de plus en plus visible
La cohabitation entre quatre générations actives n’a jamais été aussi prononcée dans le monde du travail. Baby-boomers (nés avant 1965), génération X (1965–1980), millennials (1981–1996) et génération Z (1997 et après) se retrouvent à collaborer, parfois à se diriger. Mais ils ne partagent ni les mêmes repères, ni les mêmes attentes professionnelles.
Alors que les plus âgés valorisent la stabilité, la loyauté et le respect de la hiérarchie, les plus jeunes recherchent l’autonomie, l’agilité, et un travail porteur de sens. Résultat : incompréhensions mutuelles, ressentis d’irrespect, voire rejet pur et simple.
À ces divergences s’ajoute une révolution silencieuse : la digitalisation. La Gen Z, née avec un smartphone à la main, communique par messages vocaux, travaille dans le cloud et trouve anormal d’imprimer un rapport. Pour certains cadres seniors, ce mode de fonctionnement semble manquer de rigueur, voire de sérieux.
Un choc amplifié par les spécificités culturelles
Dans les pays de tradition communautaire comme Madagascar, où la hiérarchie sociale est fortement intégrée, ce choc générationnel prend une dimension culturelle forte. Le respect des aînés est une valeur cardinale. L’ancienneté donne du poids à la parole. Questionner une directive est souvent perçu comme une insubordination.
Mais pour de jeunes actifs formés à l’international ou exposés aux méthodes agiles, ce modèle est jugé trop rigide. Beaucoup souhaitent contribuer rapidement aux décisions, remettre en cause ce qui semble obsolète, et être jugés sur la compétence plutôt que sur l’âge ou le rang.
Dans les PME malgaches, les tensions se matérialisent souvent par une résistance passive : les jeunes employés démissionnent silencieusement (« quiet quitting ») ou changent fréquemment de poste. À l’inverse, les cadres plus âgés ressentent une perte de contrôle sur les nouvelles pratiques et une forme d’ingratitude.
Il ne s’agit pas d’un conflit, mais de malentendus
Il serait simpliste de parler de guerre entre générations. En réalité, il s’agit de malentendus structurels, alimentés par des codes implicites mal partagés. Chaque génération interprète le comportement de l’autre à travers sa propre grille de lecture.
Quand un jeune demande à travailler de chez lui, il ne conteste pas l’autorité : il exprime un besoin de souplesse.
Quand un cadre senior insiste sur le respect des horaires, il ne veut pas brider : il exprime son souci de responsabilité collective.
Ce sont donc les interprétations — et non les intentions — qui créent les tensions.
Repenser le management intergénérationnel
Face à cette réalité, les entreprises n’ont plus le choix : elles doivent intégrer la gestion intergénérationnelle à leurs pratiques managériales. Quelques pistes émergent :
- Former les managers à décoder les attentes de chaque génération et à moduler leur posture.
- Mettre en place des binômes intergénérationnels, qui favorisent le transfert de compétences dans les deux sens.
- Instaurer une culture du feedback régulier et transparent, dans un cadre non hiérarchique.
- Favoriser les espaces d’écoute (ateliers, réunions dédiées) où chacun peut exprimer ses attentes sans être jugé.
Certaines entreprises africaines expérimentent le mentorat inversé : les jeunes coachent les seniors sur les outils numériques, tandis que les aînés transmettent la culture de l’entreprise. Une approche gagnant-gagnant qui apaise les tensions tout en valorisant chacun.
Une responsabilité partagée
Le travail de demain ne se construira pas contre les autres générations, mais avec elles. À Madagascar comme ailleurs, il est urgent de sortir des stéréotypes (« les jeunes ne respectent rien », « les anciens bloquent tout ») et de valoriser les complémentarités.
La génération Z n’a pas le monopole de la modernité. Les baby-boomers ne détiennent pas seuls l’expérience. Mais ensemble, ils peuvent co-construire une culture d’entreprise plus fluide, plus humaine, et surtout plus résiliente face aux défis communs.