La Chine renforce son offensive de charme commerciale en Afrique, proposant un accès à tarif zéro pour 53 pays. Une aubaine pour le développement du continent, mais aussi un puissant levier d’influence qui isole diplomatiquement le dernier allié de Taïwan.
Changsha, 11 Juin : Front Uni Sino-Africain Face aux Tarifs Américains
La ville de Changsha, dans le sud de la Chine, a été le théâtre ce mercredi 11 juin 2025 d’un geste diplomatique et économique majeur. À l’issue d’une rencontre entre le Ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, et des représentants de 53 pays africains ainsi que de la Commission de l’Union Africaine, une déclaration commune a été publiée. Ce texte, relayé par l’agence de presse officielle Xinhua, prend une tonalité offensive en appelant « tous les pays, en particulier les États-Unis, à revenir sur la bonne voie pour résoudre les différends commerciaux ». Cette déclaration est une réponse directe aux tarifs douaniers annoncés par Washington le 2 avril dernier, lors du « Liberation Day », qui ont lourdement pénalisé plusieurs économies africaines, dont Madagascar (taxé à 47%) et Maurice (40%). En « s’opposant fermement à ce qu’une partie parvienne à un compromis au détriment des intérêts d’autres pays », la Chine et ses partenaires africains affichent un front uni et positionnent Pékin comme le défenseur des intérêts commerciaux du Sud face au protectionnisme américain.
L’Offre du « Zéro Tarif » : Opportunité Commerciale et Levier Diplomatique
Pour appuyer ce discours, la déclaration commune réitère la volonté de la Chine de mettre en œuvre des mesures de « zéro tarif » pour les 53 pays africains avec lesquels elle entretient des relations diplomatiques. Cette politique, qui étend l’exemption de droits de douane à 98% des lignes tarifaires pour les Pays les Moins Avancés (PMA) et potentiellement à d’autres produits, constitue une opportunité économique indéniable. Elle vise à faciliter l’accès des produits agricoles et manufacturés africains au colossal marché chinois. Cependant, cette offre est aussi un puissant instrument de soft power et un levier diplomatique, comme en témoigne l’unique exception à cette mesure.
L’Épine d’Eswatini, ou le Prix de l’Allégeance à Taïwan
Le seul et unique pays africain explicitement exclu de l’offre de « zéro tarif » est le royaume d’Eswatini (anciennement Swaziland). La raison est purement politique : c’est le dernier État du continent à reconnaître officiellement Taïwan au lieu de la République Populaire de Chine. En conditionnant ses avantages commerciaux à la reconnaissance diplomatique, Pékin utilise son poids économique pour appliquer sa politique d’une seule Chine et isoler davantage Taipei sur la scène internationale. La pression économique sur Eswatini s’accentue, illustrant de manière flagrante comment la Chine entremêle commerce et objectifs géopolitiques stratégiques.
Un Commerce Déséquilibré ? Les Limites du Partenariat
Si l’accès sans droits de douane est une aubaine apparente, de nombreux analystes soulignent les limites structurelles du commerce sino-africain. En 2024, bien que la Chine soit le premier partenaire commercial de l’Afrique, les échanges restent largement déséquilibrés. Le continent exporte principalement des matières premières brutes (pétrole, minerais, bois…) et importe des produits manufacturés et des biens d’équipement. Le « zéro tarif » ne changera pas fondamentalement cette structure si les pays africains ne développent pas leur capacité de transformation locale et d’exportation de produits à plus haute valeur ajoutée. De plus, les barrières non tarifaires (normes sanitaires et phytosanitaires, certifications, complexité des procédures douanières chinoises) constituent souvent un obstacle plus important que les droits de douane eux-mêmes pour les exportateurs africains, en particulier les PME.
L’Afrique au Cœur de la Rivalité Géopolitique
La déclaration de Changsha et l’offre commerciale qui l’accompagne s’inscrivent directement dans la rivalité géopolitique croissante entre la Chine et les États-Unis sur le continent africain. Alors que Washington et l’UE critiquent l’approche chinoise (endettement lié aux projets d’infrastructures, concurrence déloyale via des surcapacités industrielles…), Pékin se positionne comme un partenaire anti-protectionniste, respectueux de la souveraineté (en apparence) et offrant des avantages concrets. Pour les pays africains, cette compétition peut offrir des opportunités de diversification des partenariats et de négociation. Cependant, elle comporte aussi le risque de devenir un simple terrain d’affrontement pour des intérêts qui les dépassent. L’enjeu pour le continent, à travers des instruments comme la ZLECAf, est de renforcer sa propre cohésion et sa souveraineté économique pour pouvoir négocier en position de force avec tous ses partenaires, et ne pas simplement passer d’une sphère d’influence à une autre. La stratégie du « zéro tarif » est une carte maîtresse dans le jeu chinois ; il appartient à l’Afrique de savoir comment la jouer à son propre avantage.