Elles dorment l’oreille tendue, parlent les yeux baissés, marchent vite pour rentrer avant la nuit. Certaines fuient leur propre maison, d’autres n’ont jamais eu de toit sûr. À Madagascar, comme dans toute l’Afrique de l’Est, des milliers de femmes et de filles vivent dans un état d’alerte permanent, piégées dans des espaces qui devraient les protéger. Derrière les murs domestiques, dans les salles de classe, ou au détour d’un trottoir, la violence rôde – quotidienne, systémique, parfois tueuse. Ce n’est plus un fait divers. C’est une géographie. Une cartographie de la peur.
Derrière les murs du foyer
C’est le lieu que l’on suppose protecteur. Pourtant, les statistiques sont formelles : le foyer est l’espace où les femmes subissent le plus de violences. Selon ONU Femmes, à Madagascar, 1 femme sur 3 a déjà subi des violences physiques ou sexuelles de la part de son partenaire intime. Les données sont similaires au Kenya, en Tanzanie ou encore en RDC.
Les tabous culturels, l’absence de soutien institutionnel, et la dépendance économique maintiennent ces femmes dans le silence. En zone rurale, l’éloignement des services sociaux aggrave encore leur isolement.

L’école, un lieu d’apprentissage… ou de terreur
Chez les filles, la violence commence souvent tôt. Dans de nombreuses écoles de la région, le harcèlement sexuel et les agressions de la part d’enseignants ou de camarades sont banalisés. À Madagascar, plusieurs ONG locales ont dénoncé l’omerta sur les cas de violences sexuelles scolaires, parfois commises par des figures d’autorité.
L’insécurité scolaire devient un facteur d’abandon précoce, privant des milliers de filles d’avenir et perpétuant le cycle de vulnérabilité.
La rue, terrain d’intimidation
Dans les marchés, les gares routières ou simplement en marchant dans la rue, le harcèlement verbal et physique est monnaie courante. À Antananarivo comme à Nairobi, rares sont les femmes qui ne modifient pas leur itinéraire ou leur tenue pour éviter les agressions.
Pour celles qui vivent dans la rue — mères célibataires, migrantes, mineures en fugue — les risques d’exploitation sexuelle et de violences sont démultipliés. Le lien entre précarité économique et exposition aux violences n’est plus à démontrer.
Entre invisibilité et impunité
Ce qui rend ces violences si persistantes, c’est l’impunité quasi-totale dont jouissent les agresseurs. Peu de plaintes aboutissent, et les dispositifs d’accueil manquent cruellement. À Madagascar, le nombre de centres d’écoute et d’hébergement est dérisoire face aux besoins. Même dans des pays comme le Rwanda ou l’Éthiopie, pourtant engagés dans des politiques publiques actives, le sous-financement reste chronique.
Briser l’espace de la peur
Les violences faites aux femmes ne sont pas des événements isolés. Elles s’inscrivent dans des structures sociales et économiques profondément inégalitaires. Cartographier ces violences, c’est comprendre qu’aucun lieu n’est neutre lorsqu’il s’agit de genre. Mais c’est aussi affirmer qu’il est possible d’agir : par l’éducation, la législation, le financement de refuges, et surtout une volonté politique ferme.
Le combat contre les VBG ne se joue pas seulement dans les lois, mais dans la reconquête de chaque espace de vie par celles qui, jusqu’ici, en ont été chassées.