Le défi n’est plus d’amener les enfants à l’école, mais de leur apprendre à comprendre.
En Afrique subsaharienne, des millions d’élèves savent écrire sans savoir lire, recopier sans saisir le sens. Derrière les chiffres flatteurs de la scolarisation se cache une urgence silencieuse : celle de l’apprentissage fondamental, socle oublié du développement économique.
Une urgence invisible
Dans un village reculé du Libéria, une élève copie scrupuleusement ce qui est inscrit au tableau. Elle trace chaque lettre avec soin, mais reste silencieuse lorsqu’on lui demande de lire ce qu’elle a écrit. Elle sait écrire, mais ne comprend pas. Ce paradoxe illustre le cœur du problème éducatif en Afrique subsaharienne : une scolarisation croissante, mais des apprentissages fondamentaux en panne.
Une scolarisation sans apprentissage
Si près de 90 % des enfants sont aujourd’hui scolarisés au primaire dans plusieurs pays africains, 89 % des enfants de 10 ans en Afrique subsaharienne ne savent toujours pas lire un texte simple, selon la Banque mondiale. Cette « pauvreté d’apprentissage » signifie que l’école ne parvient plus à remplir sa mission première : transmettre les compétences de base.
L’apprentissage fondamental comme infrastructure économique
Longtemps considérée sous l’angle des droits humains ou de la justice sociale, l’éducation fondamentale est désormais un impératif économique. Lire, écrire, raisonner, coopérer : ces compétences sont aussi vitales que les routes, l’électricité ou l’eau potable. Sans elles, ni emploi qualifié, ni croissance inclusive. Selon la Banque mondiale, atteindre un niveau minimal de littératie pour chaque enfant pourrait augmenter le PIB mondial de 6 500 milliards de dollars par an.
Le cas du Libéria : volonté politique et premiers résultats
Sorti d’un long conflit, le Libéria a mis l’apprentissage de base au cœur de sa politique éducative. Objectifs fixés dès la troisième année, coordination entre les ministères de l’Éducation et des Finances, budgets réorientés vers les premières années, alimentation scolaire intégrée au budget national : les résultats émergent. Mais les défis persistent – manque d’enseignants formés, conditions inégales, financement encore insuffisant.
Le prix de l’inaction
Ignorer la crise de l’apprentissage a un coût. Pour les États : hausse des redoublements, décrochage scolaire, chômage, dépenses sociales accrues. Pour les économies : moins d’impôts collectés, plus de dépendance. Pour les sociétés : citoyens désinformés, institutions fragiles, démocratie affaiblie. Le manque de compétences de base pourrait coûter jusqu’à 10 000 milliards de dollars par an à l’horizon 2030.
Une fenêtre d’action étroite
La transition numérique, l’automatisation et l’économie de la connaissance exigent un socle solide de savoirs. Investir massivement dans les premières années, former les enseignants, structurer les contenus et piloter par les résultats : telles sont les clés d’un sursaut. L’Afrique n’a plus le luxe d’attendre.
L’avenir du continent ne se construira pas uniquement dans ses mines ou ses ports, mais dans ses écoles. Ce n’est qu’en misant sur l’apprentissage fondamental que l’Afrique deviendra maîtresse de son développement.