À Mayotte, l’accession à la propriété est à la fois un rêve et une nécessité. Dans un territoire confronté à une démographie galopante, à une urbanisation rapide et à une crise du logement chronique, devenir propriétaire constitue un levier clé d’insertion, de stabilité sociale et de transmission patrimoniale. Pourtant, sur ce département français d’outre-mer, l’accès à la propriété reste marginal. Un colloque organisé par la CCSud à Dembéni a mis en lumière les freins multiples qui rendent cet objectif difficilement atteignable.
Des coûts de construction dissuasifs
Premier obstacle majeur : le prix de la construction. À Mayotte, bâtir coûte en moyenne 44 % plus cher qu’à Paris et 25 % de plus qu’à La Réunion. Ces chiffres, cités par le directeur de la SIM (Société Immobilière de Mayotte), reflètent un déséquilibre structurel. L’isolement géographique, la nécessité d’importer tous les matériaux, la volatilité du marché local et les difficultés logistiques créent un cocktail explosif.
En seulement deux ans, les prix de la construction ont bondi de 40 %, tandis que certains matériaux, comme la tôle, ont vu leurs prix augmenter de 35 à 40 % en quelques mois. Résultat : les projets d’accession sociale sont financièrement intenables, et l’habitat informel continue de proliférer.

Le foncier, nerf de la guerre
La question du foncier cristallise toutes les tensions. L’État, les collectivités et les établissements publics fonciers peinent à identifier des terrains viabilisés, accessibles, et juridiquement sécurisés. Or, entre 120 000 et 130 000 logements seront nécessaires d’ici 2050, selon l’Epfam.
Le foncier disponible est rare, cher, souvent non régularisé, et le cadastre incomplet. Sans foncier stable, pas de construction possible, pas d’urbanisme structuré. L’enjeu est d’autant plus crucial que le revenu médian à Mayotte est de seulement 500 € mensuels, limitant drastiquement la capacité d’endettement des ménages.
Des normes inadaptées et une administration lente
Mayotte subit l’application de normes hexagonales dans un contexte insulaire aux réalités très différentes : climat, aléas naturels (comme Chido), structure sociale, compétences techniques. Les professionnels du secteur dénoncent des règles techniques et des dispositifs de financement inadaptés, des délais de paiement trop longs, et un déficit massif de main-d’œuvre qualifiée.
Les jeunes talents formés localement partent souvent à La Réunion ou en métropole, accentuant le manque de compétences locales. La lourdeur administrative freine les projets, alors que la demande explose.
Une volonté politique naissante mais encore fragile
Face à cette situation, des initiatives émergent. La CCSud a lancé Hippocampe Habitat, un nouvel opérateur public qui ambitionne de construire des logements accessibles, adaptés au contexte local, sur des terrains identifiés. Inspirée du modèle coopératif, la structure vise à faciliter l’accession progressive à la propriété, notamment via la vente directe de maisons prêtes à l’emploi.
Un partenariat avec l’Union sociale pour l’habitat, signé à l’issue du colloque, doit permettre d’élaborer une feuille de route partagée et opérationnelle. Mais tout reste à faire pour transformer les discours en actes concrets.
À Mayotte, devenir propriétaire relève encore du parcours du combattant. La crise foncière, la précarité économique, la complexité réglementaire et les coûts disproportionnés freinent la dynamique de construction. Pourtant, la stabilisation sociale du territoire passera nécessairement par un droit au logement digne et accessible. Pour que l’accession à la propriété cesse d’être un luxe réservé à quelques-uns, il faudra une refonte en profondeur des outils, des normes et des priorités d’aménagement.