Elles ont été mutilées dans leur chair, mais c’est leur silence qu’on avait surtout appris à ignorer.
Des années après, elles osent enfin dire non à la fatalité. À Abidjan, une opération gratuite leur offre bien plus qu’une reconstruction physique : un droit au soulagement, à la dignité, à la renaissance.
Quand la médecine soigne aussi les blessures invisibles
À 45 ans, Adèle Koue Sungbeu avance désormais avec assurance dans les rues d’Abidjan. Cette sage-femme ivoirienne fait partie des 28 femmes ayant récemment bénéficié d’une chirurgie réparatrice destinée à soigner les séquelles physiques de l’excision. Une première en Côte d’Ivoire, rendue possible par une mission médicale menée dans un hôpital public de la capitale économique.

Au-delà du geste chirurgical, c’est une démarche de reconstruction globale que propose cette initiative inédite.
C’est une fierté de l’avoir fait. Ce n’est pas qu’on vous le reproche. Mais dans le regard de l’autre, vous
Adèle Koue Sungbeu
sentez quelque chose. Une gêne. Et ça vous pèse.
Longtemps silencieuse sur ce qu’elle avait vécu à l’adolescence, elle évoque aujourd’hui un mal-être qu’elle ne s’autorisait pas à exprimer.
Une opération gratuite, un symbole fort
Portée par le Fonds Muskoka – une initiative du gouvernement français en faveur de la santé maternelle et infantile – la mission a mobilisé une équipe de spécialistes venus de plusieurs pays. À sa tête, le Dr Sarah Abramowicz, chirurgienne obstétrique française reconnue pour son engagement dans la reconstruction génitale féminine.

Avec elle, dix chirurgiens de six pays d’Afrique francophone ont été formés à cette technique délicate, ainsi qu’une équipe de sages-femmes et paramédicaux, chargée de l’accompagnement psychologique des patientes. Objectif : poser les bases d’une expertise médicale durable sur le continent et permettre à un plus grand nombre de femmes d’accéder à ce type de soins.
Pour Stéphanie Nadal Gueye, coordinatrice du Fonds Muskoka, l’enjeu est aussi d’ordre social :
Il ne faut pas que ces opérations restent l’apanage des cliniques privées. Toutes les femmes doivent pouvoir y avoir accès, indépendamment de leurs moyens.
La dignité retrouvée
Selon l’UNICEF, plus de 230 millions de femmes et filles dans le monde vivent aujourd’hui avec les séquelles de mutilations génitales, dont un tiers sur le continent africain. En Côte d’Ivoire, une femme sur trois est concernée.
Parmi les patientes rencontrées, certaines ont traversé des frontières et des années de silence avant d’oser faire la démarche. « Je suis partie jusqu’au Burkina Faso pour me faire opérer. J’ai payé, mais je n’ai jamais été prise en charge », raconte une jeune femme de 31 ans. Son témoignage illustre le parcours d’obstacles auquel font face celles qui veulent se reconstruire.
Pour le Dr Abramowicz, cette mission ne se limite pas à une réussite médicale : « C’est un acte militant, une forme de réparation profonde. Ces femmes repartent transformées, et certaines deviennent à leur tour des porte-voix. Le changement commence là. »
Ce projet, en donnant accès à une médecine réparatrice empreinte d’humanité, replace les victimes au centre d’une démarche de soin, de dignité, et de reconquête de soi. C’est aussi une façon d’ouvrir un espace de parole longtemps étouffé, et de semer, peut-être, les graines d’un changement durable.