L’Afrique « très importante » pour Donald Trump malgré les coupes dans l’aide et les menaces sur l’AGOA ? Les déclarations de son conseiller Massad Boulos à la BBC sèment le trouble et esquissent une stratégie américaine plus transactionnelle et moins prévisible.
Un Contexte Global de Tensions Commerciales Accrues
Les déclarations de Massad Boulos, Conseiller Senior pour l’Afrique auprès du Président américain Donald Trump (et dont le fils est marié à la fille de ce dernier, Tiffany Trump), interviennent dans un climat international marqué par la résurgence du protectionnisme et une redéfinition des alliances stratégiques. L’approche « America First », bien que visant à protéger les intérêts américains, crée des ondes de choc sur les économies partenaires, et le continent africain, malgré un volume d’échanges commerciaux relativement faible avec les États-Unis, n’est pas épargné. Les propos de M. Boulos, recueillis par la BBC lors d’une tournée récente en Afrique (RDC, Kenya, Ouganda, Rwanda), tentent de cadrer cette politique.
Aide Humanitaire Drastiquement Réduite, l’Argument de la Transparence
L’un des points les plus controversés concerne la décision rapportée de geler ou de couper drastiquement les budgets de l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID), affectant de nombreux programmes humanitaires et de santé sur le continent. Des organisations comme l’OMS ont alerté sur les risques de rupture de stock de médicaments essentiels (antirétroviraux pour le VIH dans des pays comme le Kenya ou le Nigeria), tandis que l’ONG Save the Children a directement lié des décès dus au choléra au Soudan du Sud à la fermeture de cliniques locales suite à ces coupes budgétaires. Face à ces impacts humanitaires potentiellement dévastateurs, M. Boulos défend la position américaine en invoquant la nécessité d’une « efficacité et transparence accrues », affirmant qu’il faut s’assurer que les fonds « aillent au bon endroit ». Une justification qui peine à masquer les conséquences sur le terrain pour les populations les plus vulnérables.
L’AGOA et les Tarifs, la Fin Annoncée des Préférences ?
Sur le front commercial, l’avenir de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), qui accorde un accès préférentiel au marché américain à de nombreux pays africains et expire en 2025, est au centre des préoccupations. M. Boulos adopte une ligne dure, estimant que l’accord est « pratiquement mort » en raison de l’application potentielle de tarifs américains plus larges qui en annuleraient les bénéfices. Il rappelle son caractère de « préférence commerciale unilatérale » accordée par les USA. Quant aux tarifs « réciproques » évoqués (qui avaient lourdement touché des pays comme le Lesotho ou Madagascar par le passé en raison de leur balance commerciale excédentaire avec les US via l’AGOA), M. Boulos minimise leur impact global (« effet net zéro » pour la plupart), affirmant que les négociations sont ouvertes pour des solutions « gagnant-gagnant ». Cette posture marque cependant une rupture nette avec des décennies de politique commerciale américaine visant, du moins en théorie, à soutenir le développement africain par un accès privilégié.
Intérêts Économiques Assumés : Cap sur les Minerais Stratégiques
Là où la stratégie américaine semble plus claire, c’est sur la défense des intérêts économiques américains, notamment l’accès aux ressources. M. Boulos a explicitement confirmé l’intérêt de plusieurs entreprises américaines pour l’exploitation des minerais stratégiques en République Démocratique du Congo (RDC), pays immensément riche en cobalt et lithium, essentiels pour la transition énergétique et actuellement dominés par les investissements chinois. Il a lié cet intérêt à la recherche de la paix dans l’Est du pays, appelant le Rwanda voisin à cesser son soutien présumé aux rebelles du M23 (une condition pour envisager des explorations au Rwanda même). Interrogé sur la priorisation des intérêts économiques sur le bien-être des populations, M. Boulos assume : « notre travail est de promouvoir les intérêts américains et nos partenariats stratégiques« .
Une Diplomatie Transactionnelle Sous Couvert de Partenariat
L’ensemble de ces déclarations dessine les contours d’une diplomatie américaine plus directe, moins axée sur l’aide traditionnelle et les préférences commerciales non réciproques, et davantage tournée vers des partenariats stratégiques définis selon les intérêts américains. M. Boulos, lui-même homme d’affaires ayant des intérêts en Afrique de l’Ouest, a réfuté les rumeurs de fermetures massives d’ambassades américaines sur le continent, réaffirmant l’importance de l’Afrique pour Trump. Il met en avant une volonté de mettre fin aux « avantages indus » pris par d’autres acteurs internationaux et un engagement pour la paix (citant le Soudan). Cependant, la tonalité générale reste celle d’une approche plus transactionnelle et potentiellement moins prévisible pour les partenaires africains.
L’Afrique face à une Amérique Plus Imprévisible : Quelle Boussole Stratégique ?
Les propos de Massad Boulos, qu’ils reflètent une politique en cours ou une orientation future potentielle, soulignent une réalité incontournable pour les pays africains : l’ère des relations asymétriques basées sur l’aide et les préférences commerciales unilatérales touche peut-être à sa fin, du moins avec certains partenaires. Face à une puissance américaine affichant plus crûment ses intérêts économiques et stratégiques, et moins encline à maintenir des programmes d’aide ou des accès commerciaux préférentiels sans contreparties claires ou jugées suffisantes, la nécessité pour l’Afrique de renforcer son autonomie stratégique devient criante.Cela renvoie directement à l’impératif, maintes fois souligné par des leaders comme Wamkele Mene de la ZLECAf, d’accélérer l’intégration économique continentale, de développer le commerce intra-africain, de diversifier les économies et de construire un marché intérieur suffisamment résilient pour absorber les chocs externes et négocier d’égal à égal sur la scène mondiale. La stratégie africaine face à une Amérique plus transactionnelle passera inévitablement par une plus grande unité et une affirmation plus forte de ses propres priorités.