L’Afrique est le cœur battant du catholicisme mondial, avec une croissance démographique explosive. Alors que la succession du Pape François se profile, la question d’un Pape africain émerge avec force. Analyse des espoirs légitimes, des candidats potentiels et des réalités complexes du pouvoir au Vatican.
Afrique, Cœur Vibrant (et Croissant) du Catholicisme Mondial
Les chiffres sont éloquents et incontestables : l’Afrique est le continent où l’Église catholique connaît sa croissance la plus rapide et la plus dynamique. Représentant désormais environ 20% des catholiques mondiaux (avec 281 millions de fidèles recensés en 2023), le continent enregistre plus de la moitié de l’augmentation globale des baptisés et voit le nombre de ses prêtres et séminaristes croître significativement, contrastant avec le déclin observé en Europe et dans les Amériques. Face à ce poids démographique et spirituel croissant, l’idée qu’un successeur de Pierre puisse venir d’Afrique, plus de 1500 ans après les derniers Papes originaires d’Afrique du Nord (comme Saint Gélase Ier), semble pour beaucoup une évolution logique, voire une reconnaissance attendue de longue date. Le Pape François lui-même, par ses dix voyages sur le continent et son attention marquée pour les « périphéries », a contribué à renforcer ce sentiment.
Des Cardinaux Africains Influents… Mais Suffisamment Puissants ?
Plusieurs noms de cardinaux africains circulent régulièrement dans les cercles d’observateurs comme potentiels « papabili ». Parmi les plus cités figurent le Ghanéen Peter Turkson, longtemps pressenti et ayant occupé d’importantes fonctions au Vatican (notamment dans la promotion de la justice sociale et pour l’encyclique Laudato Si’); le Congolais Fridolin Ambongo Besungu, archevêque de Kinshasa (plus grand diocèse d’Afrique) et membre du Conseil des Cardinaux conseillers du Pape; le Guinéen Robert Sarah, figure de proue de l’aile plus traditionaliste; ou encore l’Ivoirien Ignace Bessi Dogbo, récemment créé cardinal.
Cependant, malgré une augmentation notable du nombre de cardinaux électeurs africains sous François (passant de 8% à environ 13,3% du Collège, soit 18 sur 135), beaucoup d’analystes, y compris des clercs africains comme le P. Stan Chu Ilo, soulignent leur sous-représentation dans les postes clés de la Curie romaine, là où s’exerce réellement le pouvoir et où se construisent les réputations internationales. De plus, certains observateurs au Vatican restent sceptiques quant à leurs chances réelles, estimant qu’ils n’ont pas subi le même niveau d’examen public que leurs homologues occidentaux, un facteur potentiellement dissuasif dans une Église marquée par des scandales passés.
L’Ombre de François et le Fossé Culturel sur les Questions de Société
L’héritage du Pape François en Afrique est fort, marqué par sa défense des pauvres, ses appels contre l’exploitation des ressources (« Ôtez vos mains de la RDC ! Ôtez vos mains de l’Afrique ! ») et ses gestes forts pour la paix (en RCA, au Soudan du Sud). Cette popularité pourrait plaider en faveur d’un successeur issu du continent, poursuivant cette ligne d’attention au Sud Global.
Toutefois, un fossé doctrinal et culturel majeur s’est révélé avec la déclaration Fiducia Supplicans autorisant la bénédiction (non liturgique) des couples de même sexe. Les conférences épiscopales africaines, réunies au sein du SCEAM, ont opposé une fin de non-recevoir quasi unanime, jugeant ces bénédictions « non appropriées pour l’Afrique » car sources de « confusion » et en « contradiction directe avec l’ethos culturel des communautés africaines ». Ce conservatisme doctrinal assumé sur les questions LGBTQ+, partagé par les principaux cardinaux africains pressentis (Ambongo, Sarah, et même Turkson malgré des nuances récentes), pourrait constituer un obstacle majeur lors d’un conclave où environ 80% des électeurs ont été nommés par François, et pourraient chercher un profil assurant une continuité sur ces questions sociétales clivantes.
Représentation Démographique Contre Inerties Structurelles (et Racisme ?)
Au-delà des questions doctrinales, des voix critiques au sein même du clergé africain, comme celle du P. Paulinus Ikechukwu Odozor, mettent en garde contre le « tokenisme ». L’élection d’un Africain ne devrait pas être une simple concession démographique, mais le choix du meilleur « théologien en chef » pour l’Église universelle. Ces mêmes voix soulignent un malaise plus profond : le sentiment que les préoccupations africaines ne sont pas toujours prises au sérieux au Vatican, et la persistance d’un racisme latent au sein de l’institution. La crainte existe qu’un Pape africain, « aussi papabile soit-il », soit avant tout perçu et jugé comme « le Pape africain », limitant sa capacité à incarner pleinement l’universalité de sa charge. Le manque d’Africains aux plus hauts postes de décision curiaux, malgré l’augmentation du nombre de cardinaux, alimente cette perception d’une inertie structurelle.
Le Prochain Conclave, Révélateur des Fractures de l’Église Universelle
L’élection du prochain Pape, dont le moment dépendra de la volonté divine et des contingences humaines, sera bien plus qu’une simple affaire de succession. Le conclave qui réunira les 135 cardinaux électeurs de moins de 80 ans sera le miroir des tensions profondes qui traversent l’Église catholique aujourd’hui : tensions géopolitiques entre un Sud en pleine expansion démographique et un Nord historiquement dominant mais en déclin ; tensions doctrinales entre conservatisme et ouverture sur les questions de société ; tensions structurelles sur la répartition du pouvoir au Vatican.
L’élection d’un Pape africain serait un symbole historique puissant, reconnaissant le déplacement du centre de gravité du catholicisme vers le Sud. Mais les obstacles idéologiques, culturels, politiques et peut-être même raciaux restent considérables. Le résultat, quel qu’il soit, en dira long sur la capacité réelle de l’Église à incarner l’universalité qu’elle prêche et à naviguer les complexités d’un monde en pleine mutation. La prière de nombreux fidèles africains, comme le résumait le P. Chu Ilo, est d’avoir un Pape qui poursuive l’ouverture de François… et que celui-ci vienne, si possible, d’Afrique.